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Une œuvre latine d’un autre temps chez Nicolas Grenon : la séquence Lætabundus et le motet isorythmique Ave virtus virtutum
Par Kévin Roger
Publication en ligne le 11 mai 2023
Résumé
Cet article se concentre sur un cas singulier de réutilisation de la célèbre séquence Lætabundus au sein d’un motet isorythmique de Nicolas Grenon. Ce choix inhabituel en matière de cantus firmus invite à explorer les modalités d’intégration d’une poésie rythmique latine au tenor, voix essentiellement marquée par la périodicité mélodique (color) et rythmique (talea). Le passage liturgique n’est d’ailleurs pas sans conséquence sur l’organisation de la voix inférieure : tandis que la forme isorythmique prend pour modèle la structure poético-musicale de la séquence, les figures respectent manifestement le rythme des vers. L’analyse du tenor révèle en outre que la version proposée par Grenon est le fruit d’une évolution de la séquence, au contact de la langue vernaculaire, et répond à des problématiques spécifiques au compositeur-poète de la fin du Moyen Âge, à mi-chemin entre les artes de versification et les codes de la seconde rhétorique.
Table des matières
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Une œuvre latine d’un autre temps chez Nicolas Grenon : la séquence Lætabundus et le motet isorythmique Ave virtus virtutum (version PDF) (application/pdf – 1,7M)
Texte intégral
1S’il est vrai que le xive siècle demeure l’âge d’or du motet isorythmique, les compositions qui voient le jour au début du siècle suivant ne peuvent être perçues comme de simples réminiscences. Allsen a notamment étudié, au moyen d’un corpus de plus d’une centaine de pièces, la perpétuation non négligeable du genre jusqu’aux années 1440 à la fois en France, en Italie et en Angleterre1. Cependant, force est de constater que le style proprement français hérité de l’ars nova, depuis les motets les plus avancés du Roman de Fauvel2, tend à disparaitre vers 1420. Au-delà s’accumulent des compositions dont l’affiliation à une seule tradition s’avère complexe, voire vaine. En réalité, de telles difficultés apparaissent déjà au cours du xive siècle, à l’instar du motet anglais Sub Arturo/Fons citharizancium d’Alanus3 qui imite une facture française. Il n’est ainsi pas rare que l’origine de pièces présentes dans des répertoires multiculturels ait été discutée4.
2Les codes proprement français qui perdurent au tournant du xve siècle investissent aussi bien la texture des motets que leur dimension littéraire. Les paramètres les plus spécifiques concernent néanmoins la voix du tenor. D’une part, sa structure respecte une isorythmie rigoureuse : les taleæ (répétitions rythmiques) se superposent aux colores (répétitions mélodiques). D’autre part, l’usage d’un cantus firmus liturgique, à l’inverse de la manière italienne5, est une condition presque sine qua non. Celui-ci est en outre placé à la partie inférieure, alors que les codes insulaires anglais autorisent sa disposition à la voix intermédiaire6. Hormis quelques exceptions, ces spécificités françaises, couplées à d’autres particularités stylistiques et données géographiques, permettent d’isoler plus d’une dizaine de motets réalisés durant le premier quart du xve siècle7. Tous se trouvent dans Bologna Q. 158 ou Oxford 2139 et représentent les derniers feux du motet isorythmique à la française.
3L’un d’entre eux retient plus spécialement l’attention pour sa sophistication apparente. Il s’agit d’Ave virtus virtutum/Prophetarum de Nicolas Grenon, composé au début des années 142010. Un regard porté sur l’unicum préservé dans Oxford 213 suffit à déconcerter le lecteur tant la notation fait preuve d’originalité11. D’abord, un canon littéral, précisant l’interprétation du tenor, attire l’œil par son agencement : le copiste a en effet graphiquement mis en exergue les rimes communes de chaque distique. Par la suite, en lieu et place de l’habituel tenor aux valeurs longues, on y trouve une courte partie rythmée à l’aide de semi-brèves et de minimes. Ce passage est de surcroit accompagné de paroles latines soigneusement disposées sous la portée.
4Rencontrer un tel exemple chez Grenon n’est en soi pas surprenant. Le compositeur revendique une marginalité sans cesse renouvelée dans les trois autres motets qui lui sont attribués. Entre l’insertion d’éléments inventés au tenor de Plasmatoris humani/Verbigine et l’absence de pluritextualité dans Nova vobis gaudia12, difficile de ne pas voir dans son œuvre l’héritage fragilisé de l’ars nova. Mais si Ave virtus virtutum s’avère un cas des plus singuliers, c’est aussi parce que la source de son tenor s’éloigne de la prose liturgique. C’est à partir d’une strophe de la célèbre séquence de Noël Lætabundus, longtemps attribuée par erreur à Bernard de Clairvaux13, que Grenon a décidé d’élaborer son motet. Bien que la versification latine ne soit pas étrangère au genre polyphonique, le choix d’un poème rythmique comme cantus firmus reste inattendu et n’est, de fait, pas sans conséquence sur la composition. Car plutôt que d’ignorer la temporalité de la séquence, Grenon la respecte à bien des égards et propose un tenor hybride, à mi-chemin entre la technique de l’isorythmie et le savoir-faire du poète latin.
5Ave virtus virtutum est donc un cas exceptionnel de transfert de techniques poétiques à un stade précoce de la création du motet et invite à en approfondir les modalités. Dans un premier temps, son étude conduira à déterminer certaines raisons stylistiques et culturelles susceptibles d’avoir conforté Grenon dans le choix de ce cantus firmus. Dans un second temps, l’objectif sera d’observer les procédés de composition en vue d’intégrer le poème liturgique au tenor : de la strophe à l’accentuation, le vers est conservé et musicalement traduit – dans des nuances toutefois propres aux pratiques du chant mesurable. En outre, dans la mesure où les antiphonaires ne proposent pas encore de versions notées distinctement mesurées de la séquence, Grenon livre donc l’une des premières restitutions explicitement rythmées. L’analyse attentive du tenor révèlera alors que le cantus firmus est le fruit d’une évolution de la séquence, depuis le xie siècle, au contact de la langue vernaculaire. Ces différents axes permettront ainsi de conclure sur les conditions de ce métissage au sein d’un tenor de motet et, plus largement, sur le savoir philologique et poétique de Grenon.
Tradition, style et choix littéraire
6La séquence est un genre liturgique que l’on rencontre peu dans les motets de provenance française. On en retrouve trois exemples dans le corpus le plus récent de Fauvel14. Au cours du xive siècle, cette proportion déjà faible disparaît complètement : pas un seul des cantus firmi identifiés d’Ivrea15 et Chantilly16 ne renvoie à une séquence. Le constat est identique pour les motets de Machaut, tandis que les répertoires anglais et italiens démontrent la même indifférence17. Le choix de Grenon est d’autant plus curieux que les motets post-Machaut manifestent une nette prédilection pour les antiennes mariales18.
7Le tenor s’accompagne d’un profil rythmique spécifique, noté à l’aide de courtes figures à l’articulation trochaïque, que Nosow compare à « une chanson française populaire, naïve dans son effet »19. Il semble alors légitime d’y apercevoir une autre tentative de s’émanciper de la tradition, loin du lent tenor conventionnel. Or, il n’en est pas question pour le compositeur. Au contraire, c’est là l’utilité même du canon qui, une fois décrypté, exige d’augmenter la voix inférieure ainsi :
Au début, le tenor est augmenté au ratio octuple. Puis au ratio sextuple, le tenor diminuant simultanément. Par la suite, il doit être chanté deux fois, dans la proportion double. Mais pour finir, il doit être chanté deux fois de la façon dans laquelle il apparaît ici [dans le manuscrit]20.
8Les consignes ne trompent pas : Grenon réinvente par ce biais le procédé de la diminution, fréquent dans les motets depuis l’ars nova, en prenant à contrepied les directives habituelles. Il ne s’agit pas de diminuer un tenor déjà conséquent, mais d’en multiplier la valeur des figures suivant un ordre décroissant (8 ; 6 ; 2 ; 1). Aux semi-brèves et minimes notées dans Oxford 213 se substituent ainsi des maximæ et des longues (1re occurrence), des longues et des brèves (2e occurrence) puis des brèves et des semi-brèves (3e et 4e occurrences). Le rythme présenté dans le manuscrit n’est, pour sa part, réalisé qu’à la fin du motet (5e et 6e occurrences).
9Cette alternative à la diminution standard n’a pas pour ambition de rendre sibylline l’interprétation du tenor, à la manière de nombreux canones qui, dès la fin du xive siècle, usent de sens cachés21. La notation est dans ce cas plutôt tributaire du cantus firmus. Grenon a effectivement transcrit l’extrait de la séquence tel quel, sans en modifier les durées. L’origine du tenor est d’autant plus flagrante visuellement. De plus, le compositeur conserve par ce geste l’articulation ternaire inhérente à la séquence. Le rapprochement de Nosow avec la chanson est d’ailleurs tout à fait justifié, comme en témoigne Johannes de Grocheio dans son Ars musice :
Une séquence est un chant composé de plusieurs vers, comme Lætabundus ou Benedicta es, cælorum.
Le répons et l’alléluia sont chantés à la manière des estampies [standipedis] ou des cantus coronati […]. Mais la séquence est chantée à la manière des ductiæ […].
La ductia est une cantilena légère et rapide dans ses montées [ascensu] et ses descentes [descensu], chantée lors des caroles par les jeunes hommes et les jeunes femmes, comme dans la chanson française Chi encor querez amoretes22.
10Les comparaisons du théoricien, déjà signalées par Nosow23, sont tout aussi originales que précieuses, dans la mesure où il confronte sans peine les répertoires profane et sacré. Ainsi, tandis que le répons et l’alléluia se rapprochent de l’estampie, l’interprétation de la séquence se rapporte plutôt à celle des ductiæ. La ductia – à ne pas confondre avec son homonyme instrumental – est une chanson populaire, prisée pour sa virtuosité. Aux mélodies rapides appréciées des jeunes gens s’ajoute en outre le contexte chorégraphique de la carole.
11Ces comparaisons avec la ductia dérivent d’éléments stylistiques propres à l’évolution de la séquence depuis le xie siècle. D’une part, les compositeurs délaissent peu à peu le modèle en prose pour une forme versifiée et rimée qui rend la séquence difficile à distinguer de l’hymne d’un point de vue textuel. Cette structure apparaît dès lors également plus proche des genres profanes. La musique, qui consiste en des répétitions mélodiques réparties sur chaque demi-strophe semblable, rappelle la forme à verset double que propose McGee pour la cantilena ductia, suivant l’organisation générique de Grocheio24. De même, la séquence se rapproche davantage du lai, dans la mesure où la longueur des vers entre chaque verset n’est pas nécessairement identique. Les origines controversées du genre liturgique tendent d’ailleurs à révéler des relations précoces avec le milieu séculier, notamment par le biais des planctus et lais latins25.
12D’autre part, il apparaît clairement que le rythme trochaïque caractéristique de la séquence est un facteur d’assimilation. Celui-ci rappelle l’interprétation des caroles que mentionne Grocheio, danses durant lesquelles le mètre attendu était vraisemblablement le trochée26. Cet aspect s’accompagne d’une percussion régulière, à rapprocher de l’ictus rythmique de la séquence27. Cette prépondérance de la pulsation est, dès le xiie siècle, renseignée par Sicard de Crémone selon lequel la séquence « imite le battement des tambours de la victoire »28. Rime, rythme et versification sont alors les maîtres-mots des séquences les plus récentes, standardisées par Adam de Saint-Victor, et mettent en échec l’habituelle dualité sacré/profane29. Les contrafactures de Lætabundus qui abondent à la fin du Moyen Âge sont autant de traces d’une contiguïté stylistique et culturelle avec le paysage musical séculier. Serait-il ainsi possible d’en entrevoir la démonstration dans une scène racontée par Gaston Paris ?
Le sujet de la séquence Lætabundus est la nativité, et notre parodie [Or hi parra] devait se chanter la même nuit où dans l’église on avait chanté la pièce latine. Elle se rapporte à l’usage de passer cette nuit en banquets, usage païen, toléré par l’Église ; alors les hôtes généreux ouvraient leur maison, et les convives payaient leur écot d’une joyeuse chanson, célébrant le vin ou la cervoise qu’on leur versait30.
13Cette proximité entre la séquence et certains registres de la chanson parait, à première vue, éloigner le genre liturgique de la composition du motet isorythmique. Toutefois, Ave virtus virtutum remémore certaines orientations profanes de Guillaume de Machaut en matière de cantus firmus. Dans deux de ces motets, Trop plus est bele/Biaute paree de valour et Lasse ! comment oublieray/Se j’aim mon loyal ami, les tenores laissent respectivement apparaître un lai et un rondeau. Deux autres pièces d’Ivrea, Clap, clap, par un matin/Sus Robin et Les Lormel à la Turelle/Mayn se leya31, possèdent également un cantus firmus profane. Suivant Kügle, ces derniers constituent le répertoire le plus ancien d’Ivrea32. Si, par ailleurs, les quatre motets cités précédemment ne disposent pas tous de taleæ strictes à la voix inférieure, des répétitions à grande échelle sont néanmoins présentes. La périodicité observe alors celle des chansons employées tandis que les figures sont courtes et le rythme est répétitif et ternaire. Qu’il soit question de motets anciens ou d’atavismes33, il est clair qu’une telle pratique trouve ses racines au xiiie siècle, les pièces de Montpellier et Turin comprenant 26 motets basés sur un chant français34.
14Ces normes sont également celles retrouvées dans l’unicum de Grenon, à la différence que le cantus firmus reste bien entendu liturgique et que le compositeur use de véritables taleæ – en négligeant toutefois le bref postlude non isorythmique destiné à achever le motet. Comme dans les chansons, la forme strophique est en outre visuellement accentuée par la superposition sur deux lignes (une demi-strophe par ligne). Une telle forme poético-musicale se révèle dès lors particulièrement pratique. Grenon a en effet vu dans les vers de la dernière strophe un tenor parfaitement approprié à l’isorythmie : tandis que la versification analogue des phrases permet l’utilisation de figures communes (talea), la répétition mélodique s’adapte à la fonction du color. À une échelle plus réduite, les fins de phrase et les césures sont en outre des moments opportuns pour organiser les pauses si chères aux taleæ dans la tradition française.
15Le versant littéraire du cantus firmus s’avère également décisif. Selon la célèbre expression d’Egidius de Murino, les mots du tenor doivent avant tout « concorder avec la materia »35. Le théoricien se réfère à l’évidence au principal sujet, ou contenu textuel, que partagent les différentes voix. Le terme est d’ailleurs emprunté aux artes de versification36. Ainsi, comme souvent dans les motets, les paroles laissent apparaître des thématiques communes, voire des intertextes. Cet aspect dans Ave virtus virtutum a été en partie décrit par Nosow qui, bien entendu, mentionne la place fondamentale accordée au rite de Noël37. Le contexte liturgique de la séquence est clairement illustré dans les voix supérieures, à l’image des citations de l’hymne A solis ortus cardine ou de l’antienne mariale Tamquam sponsus Dominus dont Nosow rappelle l’interprétation à la cathédrale de Cambrai lors des vêpres de Noël38. Quelques vers du motetus, également signalés par Nosow, s’inspirent pour leur part de la Quatrième Églogue prophétique de Virgile, où il est mentionné la naissance d’un enfant destiné à faire « surgir la race d’or » sur le monde entier39.
16Néanmoins, le thème substantiel de la nativité ne suffit pas à justifier concrètement le choix de la séquence. Celle-ci s’avère certes bien connue, mais le rite de Noël offre un répertoire vaste et en partie aussi populaire. Cette préférence pour Lætabundus repose sans doute sur une autre thématique qui, bien que relative à la nativité, contraste en matière de registre. Alors que la majorité de la séquence décrit des scènes de la nativité, l’avant-dernière strophe adopte un discours antijudaïque. Il est d’abord reproché aux Juifs d’être aveugles et de ne pas croire en leurs propres prophètes : « synagoga meminit, numquam tamen desinit esse ceca ; Si non suis vatibus ». La dernière strophe, employée par Grenon, conclut la séquence sur un ton plus acerbe :
Malheureux, dépêche-toi ou crois les anciennes [écritures]. Pourquoi seras-tu damné, misérable peuple ? Considère le fils que les écritures enseignent, une femme lui a donné naissance40.
17L’importance de ce passage pour le compositeur est, dans un premier temps, attestée par sa reprise quasi intégrale au triplum, des vers 29 à 32 :
Peuple des Hébreux, considère le fils. Pourquoi dors-tu ? Dépêche-toi avec nous, crois en les nouvelles [écritures] ou crois en les anciennes, crois en les pères que les écritures enseignent41.
18Bien que plus furtif, le sujet de la discorde se rencontre à nouveau au motetus, plus particulièrement lors du dernier quatrain42. Le texte du cantus firmus a donc partiellement nourri le discours poétique de Grenon et peut, de cette manière, être considéré comme une materia sous-jacente à la nativité qui, suivant l’hostilité générale du christianisme occidental envers les juifs, s’inscrit dans une démarche répressive à l’évidence répandue, qui plus est à la suite des mesures entreprises par Charles VI43 – expulsion de 1394, contrôle des créances, etc. Ave virtus virtutum manifeste un retour à des problématiques théologiques plus communes, alors que le Grand Schisme avait, il y a peu, préoccupé l’âme créatrice de certains contemporains44.
Intégration de la séquence et versification
19L’intégration de Lætabundus dans Ave virtus virtutum s’effectue au moyen d’une maitrise habile de ses composantes poético-musicales et de leur translittération tout aussi judicieuse dans le langage du chant mesurable. En premier lieu, il s’agit de circonscrire les partes et les colores suivant la forme d’ores et déjà isorythmique des strophes de la séquence. Chacun des deux colores est de fait délimité par la mélodie d’un verset (Fig. 1). Il en va de même concernant les partes, les demi-strophes étant aussi bien identiques en matière de mélodie que de versification. Comme il sera vu par la suite, le rythme commun (talea) sera pour sa part essentiellement assuré par leur accentuation équivalente.
Fig. 1 : Tenor d'Ave virtus virtutum (sans postlude) (voir l'image au format original)
20L’importance de ces caractéristiques formelles est confirmée par le fait que la dernière strophe de la séquence est celle dont l’organisation poético-musicale est la plus développée. La nature du discours n’est pas l’unique paramètre qui tend à la distinguer du reste du chant. D’une part, c’est dans celle-ci que le syllabisme est le plus rigoureux et que la rime est la plus aboutie. Dans les strophes précédentes, seuls les vers concluant chaque demi-strophe suivent la dernière voyelle de l’alléluia. D’autre part, cette régularité de l’assonance finale s’accompagne d’une seconde descendante (sol-fa dans Fig. 1) accentuant ainsi la coupe finale des vers. Cette conduite coïncide naturellement avec la qualité cadentielle qu’exige la fin d’un tenor ou l’une de ses parties. Plus largement, chaque demi-strophe se conclut à l’aide du mouvement mélodique plus développé la-sol-fa, récurrent dans les séquences45.
21Ces différents éléments permettent de constater l’écriture plus avancée de la dernière strophe, proche des conventions qui aboutissent à la séquence d’Adam de Saint-Victor ainsi qu’aux registres de la poésie lyrique. Il y a donc fort à parier que c’est également pour ces raisons que Grenon a choisi la dernière strophe. Dans certaines sources, cette facture novatrice va d’ailleurs de pair avec des spécificités graphiques :
Fig. 2 : Reproduction de la dernière strophe de la séquence Lætabundus dans Oxford 34 (voir l'image au format original)
22Dans le manuscrit Oxford 34 (Fig. 2) datant du xiiie siècle46, la dernière strophe est celle dans laquelle la notation est de loin la plus précise. Dans les paroles, un point est renseigné à la fin de chaque vers et corrobore le schéma rimique de la strophe. De plus, une majuscule indique le début de chaque demi-strophe. Suivant Bourgain, ces procédés typographiques renseignent la « perception que les utilisateurs de poèmes avaient des textes qu’ils notaient ou trouvaient dans des copies antérieures »47. L’objectif est de délimiter visuellement la structure des vers malgré leur disposition soumise à la linéarité de la notation musicale. Si ces procédés sont dès lors courants dans les poèmes liturgiques du xiiie siècle, le punctus se généralise préférablement à tous les vers. Or, dans Oxford 34, ce changement scriptural soudain est révélateur d’un changement de structure dont avaient conscience certains copistes48.
23Un second exemple concerne la version préservée dans le célèbre Tropaire-prosaire de Dublin49, réalisé autour de 1360 (Fig. 3). Cette fois, la coupe finale de certains vers est directement indiquée dans les portées au moyen de barres de division :
Fig. 3 : Reproduction de la dernière strophe de la séquence Lætabundus dans Cambridge 710 (voir l'image au format original)
24Ces barres apparaissent à la fin des vers Infelix propera, Crede vel vetera et Quem docet littera. Bien que l’usage n’ait donc pas été généralisé à toute la strophe, les barres doubles – graphie alternative et répandue de la barre de division50 – signalent la coupe des premiers vers de chaque verset. De même, lorsqu’aucune barre ne marque une coupe externe, une majuscule est néanmoins requise au vers suivant. De cette manière, la ponctuation des paroles compense les lacunes de la notation musicale.
25Une différence formelle sépare cependant les deux exemples précédents de la version proposée par Grenon. Suivant la régularité cadentielle des fins de vers, le compositeur scinde chaque verset à l’aide de quatre périodes – principe récurrent dans les taleæ des motets français51 – rigoureusement délimitées à l’aide de pausæ minimæ. Celles-ci remplacent les barres de division rencontrées dans le tropaire précédent. En plus de renseigner certaines contingences interprétatives dérivées de la diction du vers, ces pauses articulent une structure différente de celles indiquées dans les deux sources liturgiques précédentes : au tenor, les troisième et sixième vers sont également scindés après leur cinquième syllabe, laissant par conséquent apparaître un pentasyllabe suivi d’un tétrasyllabe. La coupe de Grenon conduit donc à apercevoir non plus six vers par strophe, mais huit.
26Ce phénomène est surement la conséquence de l’étroite proximité de la séquence avec la langue vernaculaire et s’avère, de fait, instructif quant à la manière dont Grenon envisage le cantus firmus. À l’évidence, les copistes les plus méticuleux à l’égard de la versification latine ont naturellement adopté la forme du sizain, suivant la distribution de la rime era :
27De cette répartition dérive une analyse d’autant plus simple. Chaque paire d’hexasyllabes précède un ennéasyllabe dont la forme respecte la césure classique 5 + 4 enseignée dans le De rythmico dictamine, traité de versification rédigé au xiiie siècle52. Il est encore possible de rencontrer cette configuration à la fin du xve siècle53. D’ailleurs, bien que les auteurs actuels privilégient le huitain, le sizain est parfois conservé de nos jours, à l’exemple de la restitution proposée par Norberg54.
28Si l’ennéasyllabe s’avère théorisé dans la poésie rythmique latine, son intégration dans la poésie vernaculaire, en particulier française, demeure cependant complexe. Les vers de neuf syllabes y sont bien moins populaires. Suivant Lote, cela serait dû à l’instabilité de la césure ainsi qu’à son asymétrie naturelle. Pour preuve, les Leys d’Amors la considèrent dénuée « d’harmonie flatteuse »55. Cette incommodité a dès lors vraisemblablement forcé les poètes français à appréhender la dernière strophe de Lætabundus à la manière d’un huitain. C’est du moins ce que tend à confirmer un premier contrafactum normand, Or hi parra56 :
29Tandis que les tétrasyllabes latins sont conservés, les pentasyllabes précédents sont également considérés comme des vers à part entière et observent la rime qui se développe dans chaque demi-strophe (AAAB CCCB). L’ancienne césure laisse ainsi place à une coupe externe et permet donc au poète d’éviter l’usage inaccoutumé du vers à neuf syllabes. La récurrence de ce phénomène est également confirmée par une autre adaptation de la séquence par Gautier de Coinci57 :
30Les modifications structurelles sont dans ce cas plus profondes. La généralisation des rimes tendez et oz, suivant une forme comparable à Or hi parra, va de pair avec un nombre constant de six syllabes. Les vers iii ne sont donc plus adaptés au moyen de pentasyllabes et ne portent plus la moindre trace du vers latin original. Il est par conséquent plus manifeste que l’unité de l’ennéasyllabe est complètement négligée. En outre, il est fort probable que la seconde descendante qui accompagne l’ancienne césure a simultanément encouragé les poètes et compositeurs à recourir au huitain. C’est là l’origine d’une tradition que perpétue d’ailleurs la majorité des auteurs modernes58.
31Le cantus firmus que propose Grenon n’est donc pas seulement une citation extraite des sources liturgiques. Elle comporte également une part d’interprétation qui dépend du contact de la séquence avec le milieu séculier et du rapport culturel qu’entretient le compositeur avec le chant. Les compétences de Grenon en matière de poésie vernaculaire sont d’ailleurs souvent obscurcies par ses hautes fonctions. Après avoir enseigné la grammaire à la cathédrale de Cambrai, il est maître des enfants à la chapelle ducale de Bourgogne en 1412. Il rejoint plus tard, en l’année 1425, la Chapelle papale pour finalement revenir deux ans plus tard à Cambrai, où il devient l’un des mentors du jeune Guillaume Dufay59. Mais en marge de ce parcours, ses chansons brossent également le portrait d’un véritable poète, à la fois attaché à la tradition romane et au savoir-faire de son temps. Les nouvelles formes lyriques de la génération des auteurs post-Machaut se rencontrent notamment dans Se je vous ay bien loyaulment amée, où Grenon use à la fois du rondeau double, décrit par Eustache Deschamps, et de la strophe bergerette60.
32À cette reconfiguration de la séquence s’ajoute également, dans le tenor de Grenon, le souci de ponctuer musicalement les césures et la fin des vers, soit l’une des problématiques spécifiques aux compositeurs français du xve siècle. C’est au sujet du Chansonnier de Bayeux que Gerold relève à ce titre la minutie apportée aux coupes internes, la césure étant « marquée très nettement soit par une pause, soit par l’allongement de la note »61. Le rôle plus spécifique du silence est intimement lié à la systématisation théorique de la césure dans les traités de seconde rhétorique que Foltz-Amable qualifie d’usage « proprement “gallican” »62. La délimitation de la versification à l’aide des pauses, si chère à Evrart de Conty ou encore Molinet63, n’est toutefois pas absente du rythme latin. Si la nature concrète de la pause poétique, en latin comme en français, n’a pas lieu d’être abordée ici, la rigueur avec laquelle Grenon sépare chaque vers n’est pas sans rappeler les manières rencontrées plus largement dans les motets strophiques contemporains étudiés par Schmidt-Beste64. C’est notamment à l’occasion de divers hoquets que des pièces comme Apta caro/Flos virginum (ca 1360) ou encore Cuius fructus ventris/Te Maria rogitassem (ca 1410) démontrent le souhait de matérialiser musicalement les diverses coupes du vers à l’aide de pausæ. Tout comme Grenon, leurs compositeurs participent manifestement à la standardisation des normes poétiques contemporaines et répondent dans leurs œuvres à des problématiques qui leur sont spécifiques.
Du rythme poétique au rythme musical
33S’il est un aspect de la séquence que les contrafactures françaises ont cependant probablement conservé, c’est bel et bien son rythme. Pour cause, dans les séquences les plus récentes, la régularité de l’accent est particulièrement forte. Le statut « transitionnel »65 de Lætabundus requiert toutefois d’avancer avec précaution, tant les écritures diffèrent entre le début, le corps et la fin de la séquence. Pour ce faire, l’accentuation de la première strophe est ci-dessous représentée :
34Il apparaît que la séquence observe bel et bien un modèle rythmique dans lequel le schéma initial trochaïque est prédominant. Cette régularité s’accompagne de vers uniquement paroxytons dont les cadences sont toutes « spondaïques »66. L’alternance de l’accent n’est toutefois pas stricte. La quatrième syllabe atone des deux octosyllabes tend effectivement vers le dactyle. C’est là probablement un souvenir du septénaire trochaïque, dans une structure encore empreinte du vers quantitatif67.
35Les strophes 2 à 4 disposent pour leur part d’une plus grande constance, aussi bien en ce qui concerne le rythme que la strophe. Il est systématiquement question de sizains dont les vers sont heptasyllabiques et proparoxytons. Aucune irrégularité n’intervenant, la justesse de l’accent peut être résumée à l’aide du seul exemple Ángelús consílii que livre le premier vers de la deuxième strophe. Comme le souligne Fassler à propos de la Parisiana poetria, cette forme a le mérite d’assurer la régularité de l’accent, souvent sporadique dans les vers iambiques68. Mais cette homogénéité est rapidement contrastée par la cinquième strophe qui dispose de rythmes composés : un paroxyton (esse ceca ; hec predicta) succède dans chaque demi-strophe à trois proparoxytons. La séquence évolue ainsi dans un rythme plus sophistiqué qui illustre au mieux ce que Stevens décrit comme des vers « agréablement variés »69. La sensibilité du musicologue n’est pas sans rappeler celle des anciens théoriciens du rythmus, comme Jean de Garlande ou maître Sion, pour qui le mélange des longueurs et des accentuations est « plus plaisant » ou encore « plus raffiné » que les vers simples70. Ce penchant pour la variété se perpétue également lors de la dernière strophe :
36Il n’est toutefois plus question d’alterner entre des cadences différentes, tous les vers étant désormais proparoxytons. Mais cette stabilité va de pair avec une préférence soudaine pour un rythme iambique, introduit par infélix própera. Comme pour la première strophe, les vers ii observent un dactyle et perturbent par conséquent l’alternance accentuelle jusqu’alors présente. Bien que les derniers vers disposent d’un profil iambique, les troisièmes ne sont que des variations et débutent donc sur un accent, sans pour autant modifier la qualité proparoxytonique. Malgré tout, l’introduction en anacrouse reste particulièrement sollicitée, au point de se demander si, une fois chantés et peut-être soumis à un accent régulier, les vers médians ont pu véritablement conserver leurs inflexions spécifiques. Cette interrogation est justifiée par le tenor de Grenon, dont les figures respectent le rythme iambique initial tout en négligeant l’articulation des troisièmes vers (Fig. 4) :
Fig. 4 : Rythme poétique et rythme musical (voir l'image au format original)
37Grenon a donc généralisé l’anacrouse à chaque vers, de sorte que la première syllabe, qu’importe sa nature, s’accompagne systématiquement d’une minime en contretemps. La deuxième syllabe, distribuée sur une semi-brève, tombe alors sur l’initium de la prolation71. Il s’agit là d’une position privilégiée en matière d’accent musical : comme démontré par Graeme Boone, Jonathan King ou encore Thomas Schmidt-Beste dans les répertoires cum littera de la fin du Moyen Âge, les toniques tombent le plus souvent sur le temps musical72. L’alternance longue-brève, typique des métriques parfaites, s’accorde en ce sens avec la qualité rythmique des syllabes. Dans le tenor de Grenon, cette ordonnance repose cependant sur un réalignement de l’ictus73 dans les deuxièmes vers de chaque demi-strophe. Ce phénomène est en réalité courant dans les vers rythmiques considérés comme irréguliers. Pour reprendre les mots de Lote, le rythme entraine parfois « la mise en relief de quelques syllabes atones, quand celles-ci sont séparées de toniques régulières par une autre syllabe faible »74. Plus proche de Lætabundus, ce phénomène fait plus particulièrement écho à certaines remarques de Fassler à propos des séquences parisiennes :
Tout au long d’elles, on y trouve un ictus cohérent et fortement marqué. Lorsqu’il y a une irrégularité sur l’accent du mot d’un vers, il semble se laisser submerger par la force indéniable créée par la régularité prédominante de l’accent. En outre, la régularité frappante de la longueur des lignes, des motifs strophiques et des cadences rimiques intensifie la poussée implacable de l’accent trochaïque75.
38L’imperfection des vers ii peut, de cette façon, potentiellement être résolue suivant le remaniement précité coïncidant avec le tenor de Grenon.
39Cependant, d’un point de vue purement poétique, il est complexe de se prononcer sur le renversement accentuel des vers iii. Est-il dû à la prédominance de l’accent iambique, suivant la régularisation stricte de l’accent, ou est-il plutôt la conséquence de l’articulation musicale, alors soumise à un cadre métrique rigide76 ? Le répertoire mesuré latin laisse parfois entrevoir des irrégularités similaires imputables au rythme musical77. Quoi qu’il en soit, plusieurs versions de la séquence démontrent que cette interprétation des vers iii remonte à une pratique ancienne. Parmi les manuscrits proposés dans le tableau 2 (en annexe), illustrant la tradition mélodique à laquelle se rattache Grenon, la plupart des exemples partagent une clivis sur les syllabes be et nu, soit les pénultièmes syllabes atones. Au sein d’une articulation syllabique, le recours à une ligature renseigne potentiellement une accentuation ou, du moins, une durée relative accrue confirmée par le tenor de Grenon. Dès le xie siècle, les termes dampnaberis et genuit pouvaient alors peut-être s’accompagner d’une cadence musicale spondaïque et non iambique.
40Cependant, l’intégration de la séquence dans un chant mesuré n'est pas aussi aisée dans d’autres sources contemporaines et révèle des pratiques diverses78. Dans une restitution anonyme préservée dans Trent 9279, l’organisation de la séquence est proche du tenor de Grenon (Fig. 5). Toutefois, le mot cur est positionné sur une brève, soit un initium temporis. Le décalage engendré est par la suite rapidement rectifié à l’aide du si intercalé entre les deux brèves. Il n’est pas impossible que le compositeur ait suivi une tradition différente de Grenon – une influence spontanée de l’accent naturel de cur est difficilement soutenable, le compositeur ne tenant pas compte de dampnáberis. Un autre exemple de Dufay permet à nouveau de constater l’imprécision dont souffrent les vers iii de la dernière strophe (Fig. 6)80. Le rythme est pourtant de nouveau semblable aux deux versions précédentes. Mais l’absence de ligature sur be et l’alternance stricte des brèves et des semi-brèves ont pour conséquence de positionner la dernière syllabe (ris) en levée et le premier mot du vers suivant (gens) sur un initium. L’alignement des accents poétiques et des initia se rétablit à l’aide d’une ligature entre gens et misera et n’est ainsi pas sans rappeler le stratagème de l’adaptation anonyme précédente.
Fig. 5 : Dernière strophe de Lætabundus (Anonyme, Trent 92, fol. 70v-71r (voir l'image au format original)
Fig. 6 : Dernière strophe de Lætabundus de Dufay (Trent 92, fol. 68v-69r) (voir l'image au format original)
41Dans la mesure où le même schéma a lieu dans la demi-strophe subséquente, il apparaît que, pour Dufay, le rythme iambique introduit par l’anacrouse au début de la strophe l’emporte donc sur l’irrégularité des vers iii. Cette compréhension de la strophe est surement motivée par une tradition de la séquence proche des versions rencontrées dans des manuscrits comme Lat. 13254 ou Lat. 113981, dans lesquelles aucune ligature n’est utilisée sur l’avant-dernière note (Tableau 3, en annexe). Si de telles variantes ont toutefois pu être rectifiées et interprétées en admettant une cadence spondaïque, elles ont à l’évidence rapidement été soumises au rythme musical.
Conclusion
42Ces différents exemples ont été l’occasion de comparer des interprétations différentes de la dernière strophe de la séquence, le plus souvent en raison de l’ambiguïté qui réside entre le rythme poétique et l’articulation musicale de certains vers. Si ces divergences peuvent être rattachées à des variantes liturgiques, elles révèlent que c’est chez Grenon que se rencontre la version la plus cohérente en matière de généralisation de l’accent poético-musical. Car c’est bel et bien sur une symbiose des deux versants de la séquence que se fonde le tenor d’Ave virtus virtutum : tandis que l’alternance des syllabes toniques et atones est initialement donnée par l’accentuation iambique caractéristique de la strophe, ce rythme se trouve par la suite généralisé à l’aide de la mesure musicale. À l’évidence, Grenon s’appuie également sur une tradition performative proche de celle consignée, un peu moins d’un siècle plus tard, dans le Graduale Cenomanense politissimum (1515) à l’usage du diocèse du Mans82. On y retrouve en effet une version mesurée de la fin de Lætabundus, voisine de celle de Grenon, même si les complexités liées à l’ennéasyllabe et à la cadence de certains vers semblent persister (Tableau 2).
43Mais le rapport de Grenon à l’égard de la séquence ne se limite pas à une simple question de tradition. Les efforts du compositeur pour restituer le rythme de la séquence en témoignent et sont motivés par un aspect jusqu’alors implicite, mais dont était conscient Grenon : la parenté structurelle entre un tenor isorythmique et une strophe de séquence comme Infelix propera. Car c’est à partir de principes poétiques que le compositeur résout des problématiques spécifiques au tenor. D’une part, la forme en verset double s’apparente à la pratique du color. D’autre part, la régularité des taleæ est assurée par une versification et une accentuation identique entre les versets. Au vu des différentes pratiques de la séquence, Grenon a de surcroit pris soin de retranscrire un cantus firmus temporellement cohérent : comme dans ses autres tenores, le rythme est à la fois simple, répétitif et s’inscrit dans une prolation ternaire.
44Derrière la régularité des figures, il est difficile de ne pas voir l’art du compositeur-poète de la fin du Moyen Âge pour qui l’accent latin doit être régulier. En outre, le positionnement raisonné des silences en fonction des coupes poétiques, suivant cette fois la structure des contrafactures vernaculaires, assure des moments cadentiels opportuns au sein du tenor. Cet aspect est plus particulièrement le fruit de la formalisation du vers français, délimité avec rigueur par les pauses internes et externes ainsi qu’au sein de schémas strophiques standardisés. Plus qu’une frontière théorique, le silence est une partie intégrante de la diction du vers et se répercute de cette manière sur l’articulation proprement musicale.
45Par le transfert de ces codes au sein du motet, Grenon livre donc une forme poétique au tenor, cette voix qui, pourtant, se détourne si souvent du moindre lyrisme : issue d’antiennes ou de répons, la mélodie est habituellement déstructurée au moyen de l’isorythmie. Mais Ave virtus virtutum démontre que le tenor peut aussi s’adapter aux contingences structurelles d’une source versifiée. Par conséquent, cet aspect nuance plus largement la perspective d’un tenor isorythmique dénué d’articulation et distinct du chant original. À côté des quelques exemples de tenores versifiés au sein de la tradition française, Grenon offre ainsi matière à réviser notre regard sur les proximités insoupçonnées résultant du métissage des savoir-faire culturels et artistiques : en marge d’une rationalité exacerbée de la répétition musicale, le tenor peut également être le fruit d’un véritable compositeur-poète, soucieux de restituer une ancienne poésie rythmique latine sous un angle nouveau, au carrefour des artes de versification et des balbutiements de la seconde rhétorique.
Annexes
Tableau 1 : Motets isorythmiques français composés après 1400.
Tableau 2 : Exemples de distributions des vers iii similaires à Ave virtus virtutum.
Tableau 3 : Exemples de distributions des vers iii sans clivis.
Documents annexes
- Fig. 1 : Tenor d'Ave virtus virtutum (sans postlude)
- Fig. 2 : Reproduction de la dernière strophe de la séquence Lætabundus dans Oxford 34
- Fig. 3 : Reproduction de la dernière strophe de la séquence Lætabundus dans Cambridge 710
- Fig. 4 : Rythme poétique et rythme musical
- Fig. 5 : Dernière strophe de Lætabundus (Anonyme, Trent 92, fol. 70v-71r
- Fig. 6 : Dernière strophe de Lætabundus de Dufay (Trent 92, fol. 68v-69r)
- Tableau 1 : Motets isorythmiques français composés après 1400
- Tableau 2 : Exemples de distributions des vers iii similaires à Ave virtus virtutum
- Tableau 3 : Exemples de distributions des vers iii sans clivis
Notes
1 Jon Michael Allsen, Style and Intertextuality in the Isorhythmic Motet, 1400-1440, thèse de doctorat, The University of Wisconsin, 1992.
2 Paris, Bibliothèque nationale de France, Fr. 146.
3 Voir Brian Trowell, « A Fourteenth Century Ceremonial Motet and its Composer », Acta Musicologica, 29, 1957, p. 65-75 ; Peter M. Lefferts, The Motet in England in the Fourteenth Century, thèse de doctorat, University of Nebraska-Lincoln, 1983, p. 177, 351-352 ; Margaret Bent, « Aleyn », The New Grove Dictionary of Music and Musicians, éd. Stanley Sadie, Washington, Macmillan, vol. 1, p. 361 ; David Fallows, « Alanus, Johannes », The New Grove Dictionary of Music and Musicians, éd. Stanley Sadie, Washington, Macmillan, vol. 1, p. 276.
4 Par exemple, voir le cas de Gratiosus fervidus/Magnanimus opere présent dans Modena A (Modena, Biblioteca Estense, Ms. α. M. 55. 24, fol. 50v) et Padua A (Padova, Biblioteca Universitaria, Ms. 1475, fol. 47v), rapproché par Günther de la chapelle Saint-Georges de Padoue, The Motets of the Manuscripts Chantilly, Musée Condé, Ms 564 (olim 1047) and Modena, Biblioteca Estense, α. M. 55. 24 (olim Lat. 568), éd. Ursula Günther, Roma, American Institute of Musicology, 1965, p. xlvii. Cependant, le motet a maintes fois été comparé à des compositions françaises, Virginia Newes, « Writing, Reading and Memorizing: The Transmission and Resolution of Retrograde Canons from the 14th and Early 15th Centuries », Early Music, 18/2, 1990, p. 218-234, ici p. 224 ; Michael Eisenberg, « The Mirror of the Text », Canons and Canonic Techniques, 14th-16th Centuries: Theory, Practice, and Reception History, éd. Katelijne Schiltz & Bonnie Blackburn, Leuven, Peeters, 2007, p. 83-110, ici p. 105 ; Anne Hallmark, « Some evidence for French influence in northern Italy, c. 1400 », Studies in the Performance of Late Medieval Music, éd. Stanley Boorman, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 193-225, ici p. 215. La récente découverte du motet dans une source franco-flamande rend l’origine d’autant plus ambiguë : Belfast, Queen’s University Library, Ms. 1/21(1). Voir Michael Scott Cuthbert, « The Nuremberg and Melk Fragments and the International Ars Nova », Studi musicali, 1/1, 2010, p. 7-51, ici p. 17-18.
5 Pour le motet italien, voir Margaret Bent, « The Fourteenth-Century Italian Motet », L’Ars nova italiana del trecento VI. Atti del Congresso internazionale “L’Europa e la musica del trecento”, Certaldo, 19-20-21 luglio 1984, éd. Giulio Cattin et Patrizia Dalla Vecchia, Certaldo, Polis, 1992, p. 85-125 ; Julie E. Cumming, The Motet in the Age of Du Fay, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 71-81 ; Allsen, Style and Intertextuality, p. 87-128.
6 Lefferts, The Motet in England, p. 130-139.
7 Voir Kévin Roger, La composition du tenor dans le motet isorythmique français post-Machaut (1370-1420), thèse de doctorat, Université de Tours, 2021, p. 37-46. Voir également le tableau 1 en annexe.
8 Bologna, Museo internazionale e biblioteca della musica, Q. 15.
9 Oxford, Bodleian Library, Ms. Canon. Misc. 213.
10 Suivant la datation de Boone pour le feuillet 8 d’Oxford 213 (Graeme Boone, Dufay’s Early Chansons: Chronology and Style in the Manuscrit Oxford, Bodleian Library, Canonici Misc. 213, thèse de doctorat, Harvard University, 1987, p. 102), Nosow propose l’année 1423 (Robert Nosow, Ritual Meanings in the Fifteenth-Century Motet, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 178). Allsen, suivant la même source, suggère pourtant une datation plus récente, entre 1425 et 1427 (Allsen, Style and Intertextuality, p. 511-512).
11 Oxford 213, fol. 120v-121r.
12 Respectivement Bologna Q. 15, fol. 259v-260r et 214v-215r.
13 Eero Ilvonen, Parodies de Thèmes Pieux dans la Poésie Française. Pater-Credo-Ave Maria-Lætabundus, Genève, Slatkine, 1965, p. 106.
14 Alice V. Clark, Concordare cum materia: The Tenor in the Fourteenth-Century Motet, thèse de doctorat, Princeton University, 1996, p. 123-124 ; Gordon A. Anderson, « Responsory Chants in the Tenors of Some Fourteenth-Century Continental Motets », Journal of the American Musicological Society, 29/1, 1976, p. 119-127.
15 Ivrea, Biblioteca Capitolare, Ms. CXV (115).
16 Chantilly, Bibliothèque du château de Chantilly, Ms. 564.
17 Pour les motets de Machaut, une liste récente des cantus firmi liturgiques connus est présente dans Jared C. Hartt, Sonority, syntax, and line in the three-voice motets of Guillaume de Machaut, thèse de doctorat, Graduate School of Arts and Sciences of Washington University, 2007, p. 95-96. Pour le répertoire anglais, voir les commentaires critiques dans Lefferts, The Motet in England, p. 447-980. Pour le répertoire italien, voir l’apparat critique des motets dans Polyphonic Music of the Fourteenth Century. Italian Sacred Music, éd. Kurt von Fischer et Alberto Gallo, Monaco, L’oiseau-lyre, 1976, vol. 12, p. 201-205 ainsi que dans Polyphonic Music of the Fourteenth Century. Italian Sacred and Ceremonial Music, éd. Kurt von Fischer et Alberto Gallo, Monaco, L’oiseau-lyre, 1987, vol. 13, p. 281-286.
18 Roger, La composition du tenor, p. 418-419.
19 « When finally sung at tempo at the end of the motet, the Letabundus tune sounds very much like a French popular song, naïve in its effect. In this respect, the tenor approaches the ethos of Grenon’s Nova vobis gaudia and its Noël refrain, also sung at Christmas in Cambrai Cathedral. », Nosow, Ritual Meanings in the Fifteenth-Century Motet, p. 207.
20 « Crescit in octuplo; semel hic tenor incipiendo. Fac in sextuplo; crescat semel in decanendo; Postea bis canitur; in duplo cum bene crescit. Sed bis concinitur; tandem velut his requiescit », Oxford 213, fol. 120v. À propos du canon, voir notamment Charles Turner, « Proportion and Form in the Continental Isorhythmic Motet c. 1385-1450 », Music Analysis, 10/12, 1991, p. 89-124, ici p. 95-96, 122.
21 Voir Emily C. Zazulia, Verbal Canons and Notational Complexity in Fifteenth-Century Music, thèse de doctorat, University of Pennsylvania, 2012, p. 22-82.
22 « Est autem sequentia cantus ex pluribus versiculis compositus. Sicut Letabundus vel Benedicta es celorum » ; « Responsorium autem et alleluya decantantur ad modum standipedis vel cantus coronati [...]. Sed sequentia cantatur ad modum ductiæ [...] » ; « Ductia vero est cantilena levis et velox et ascensu et descensu que in choreis a iuvenibus et puellis decantatur, sicut gallice Chi encor querez amoretes », Johannes de Grocheio, Ars musice, éd. Constant J. Mews, John N. Crossley, Catherine Jeffreys, Leigh McKinnon et Carol J. Williams, Kalamazoo, Varia, 2011, p. 108, 110 et 68. La définition de la ductia s’appuie préférablement sur la traduction donnée dans Christopher Page, « Johannes de Grocheio on secular music: a corrected text and a new translation », Plainsong and Medieval Music, 2/1, 1993, p. 17-41, ici p. 26.
23 Nosow, Ritual Meanings in the Fifteenth-Century Motet, p. 207.
24 Timothy J. McGee, « Medieval Dances: Matching the Repertory with Grocheio’s Descriptions », Journal of Musicology, 7/4, 1989, p. 498-517, ici p. 508. McGee interprète la forme de la ductia comme l’égal de la carole.
25 Voir John E. Stevens, Words and Music in the Middle Ages. Song, Narrative, Dance and Drama. 1050-1350, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, p. 110-155.
26 Robert Mullally, The Carole: A Study of a Medieval Dance, London and New York, Routledge, 2016, p. 80.
27 Cette percussion régulière est, pour la carole, notamment renseignée par Grocheio par l’intermédiaire de la ductia instrumentale : « Sed cum recta percussione, eo quod ictus eam mensurant et motum facientis et excitant animum hominis ad ornate movendum secundum artem, quam ballare vocant, et eius motum mensurant in ductiis et choreis », Johannes de Grocheio, Ars musice, éd. Mews, p. 72. McGee tend d’ailleurs à rapprocher la cantilena ductia de son pendant instrumental : « since equal-length phrases and a separate refrain are characteristic of the vocal ductia (carol), we may now assume that instrumental dances with those same characteristics are also ductias », McGee, « Medieval Dances », p. 511.
28 Suivant la traduction de Fassler : « But the sequence designates the song of victory, for which reason it imitates through its neumes the beating of the victors’drums. », Margot E. Fassler, Gothic Song. Victorine Sequences and Augustinian Reform in Twelfth-Century Paris, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2011, p. 63.
29 Concernant les origines incertaines de la séquence, voir plus particulièrement Peter Dronke, The Medieval Lyric, Cambridge, D. S. Brewer, 1996, p. 39 et Stevens, Words and Music in the Middle Ages, p. 110-155.
30 Gaston Paris, « La chanson à boire anglo-normande parodiée du Letabundus », Romania, 21/82, 1892, p. 260-263, ici p. 261.
31 Ivrea, Biblioteca Capitolare, Ms. CXV (115), fol. 60v et 22r.
32 Karl Kügle, The Manuscript Ivrea, Biblioteca Capitolare 115: Studies in the Transmission and Composition of Ars Nova Polyphony, Ottawa, The Institute of Mediaeval Music, 1997, p. 163.
33 Ernest H. Sanders, « The Medieval Motet », Gattungen der Musik in Einzeldarstellungen: Gedenkschrift Leo Schrade, Bern, Francke, 1973, p. 497-573, ici p. 563-564.
34 Voir Mark Everist, « Motets, French Tenors, and the Polyphonic Chanson ca. 1300 », The Journal of Musicology, 24/3, 2007, p. 365-406.
35 « Primo accipe tenorem alicuius antiphone vel responsorii vel alterius cantus de antiphonario et debent verba concordare cum materia de qua vis facere motetum. », Charles W. Warren, Tractatus diversarum figurarum. A Translation and Commentary, thèse de doctorat, The Ohio State University, 1962, p. 58.
36 Concernant la materia dans la poésie médiévale, voir Douglas Kelly, « Matiere and genera dicendi in Medieval Romance », Yale French Studies, 51, 1974, p. 147-159 ; Matière à débat. La notion de matière littéraire dans la littérature médiévale, éd. Christine Ferlampin-Acher et Catalina Girbea, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017. Pour son usage controversé dans les motets, voir Anna Zayaruznaya, Upper-voice Structures and Compositonal Process in the Ars nova Motet, London & New York, Routledge, 2018, p. 13-21 et 85-89.
37 Nosow, Ritual Meanings in the Fifteenth-Century Motet, p. 178-180.
38 Ibid., p. 179.
39 Voir plus particulièrement v. 21-22 du motetus : « Cum de celo, teste Virgilio; nova venit hec generatio ». Virgile s’exprime ainsi : « Iam redit et Virgo, redeunt Saturnia regna; ima nova progenis cælo demittitur alto », Virgile, Œuvres, Tome I : Bucolique, éd. Henri-Goelzer, Paris, Les Belles Lettres, 1933, p. 42. Voir Nosow, Ritual Meanings in the Fifteenth-Century Motet, p. 179.
40 « Infelix propera / crede vel vetera / cur damnaberis, gens misera / Quem docet littera / natum considera / ipsum genuit puerpera », tenor, v. 1-6.
41 « Gens hebrea, natum considera / quod dormitas nobiscum propera / crede nova, crede vel vetera / crede partum que docet litera », triplum, v. 29-32.
42 « Est Judee gentis confusio / nos canentes juvet presidio », motetus, v. 31-32.
43 Voir Juliette Sibon, Chasser les juifs pour régner. Les expulsions par les rois de France au Moyen Âge, Paris, Perrin, 2016.
44 Voir plus particulièrement les motets Eya dulcis de Tapissier (Oxford 213, fol. 139v-140r), Venite adoremus de Carmen (Bologna Q. 15, fol. 253v-254r ; fol. 341v-342r ; Oxford 213, fol. 116v-117r) et Benedicta viscera de Velut (Oxford 213, fol. 102v-103r). Pour ces motets, voir Graig Wright, Music at the Court of Burgundy, 1364-1419. A Documented History, Henryville, The Institute of Mediæval Music, 1979, p. 131-132 ; Graig Wright, « Tapissier and Cordier: New Documents and Conjectures », The Musical Quarterly, 59/2, 1973, p. 177-189 ; Allsen, Style and Intertextuality, p. 538. Sur l’impact du Grand Schisme dans les motets, voir plus largement Reinhard Strohm, The Rise of European Music, 1380-1500, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 16-22 ; Margaret Bent, « Early Papal Motets », Papal Music and Musicians in Medieval and Renaissance Rome, éd. Richard Sherr, Oxford-Washington, Clarendon press-Library of Congress, 1998, p. 6-43.
45 Voir Frederick Homan, « Final and Internal Cadential Patterns in Gregorian Chant », Journal of the American Musicological Society, 27/1, 1964, p. 66-77, ici p. 77.
46 Oxford, Trinity College, Ms. 34, fol. 154v.
47 Pascale Bourgain, « Qu’est-ce qu’un vers au Moyen Âge ? », Bibliothèque de l’École des chartes, 147, 1989, p. 231-282, ici p. 252.
48 On notera cependant que la disposition en verset reste visiblement privilégiée. Voir, entre autres, pour le xiie siècle : France, Paris, BnF, Lat. 3126, fol. 19v ; Lat. 1086, fol. 38r ; pour le xiiie siècle, Paris, BnF, Lat. 13254, fol. 125r ; Limoges, Bibliothèque municipale, Ms. 2, fol. 175v ; Le Mans, Bibliothèque municipale, Ms. 437, fol. 232v.
49 Cambridge, University Library, Add. 710, fol. 42r.
50 Pour une mention théorique contemporaine sur la nature de ces barres et leur qualité de pause dans le domaine du chant mesurable, voir Ars cantus mensurabilis per modos iuris. A New Critical Text and Translation, éd. C. Matthew Balensuela, London, University of Nebraska Press, 1994, p. 254-255.
51 On entend par période les segments constitutifs d’une talea, délimités le plus souvent par une ou plusieurs pauses. Voir Roger, La composition du tenor, p. 133.
52 Georges Lote, Histoire du Vers Français, 9 vol. Nouvelle édition [en ligne] : Aix-en-Provence, Presses Universitaire de Provence, vol. 1, 1991, p. 81, http://books.openedition.org/pup/1788.
53 Paris, BnF, Lat. 3639, fol. 215v.
54 Dag Norberg, Manuel Pratique de Latin Médiéval, Paris, Éditions Picard, 1968, p. 178.
55 Lote, Histoire du Vers Français, vol. 1, p. 165.
56 Contrafacture éditée dans Ilvonen, Parodies de Thèmes Pieux, p. 114. Voir aussi Paris, « La chanson à boire anglo-normande », p. 263.
57 Contrafacture transcrite dans Claire Couderc Chamiyé, Memoria et Intervocalité dans les Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci, thèse de doctorat, Université Paris-Sorbonne, 2011, p. 108-109.
58 Voir par exemple Frederick Brittain, The Medieval Latin and Romance Lyric, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 97 ; The Oxford Book of Medieval Latin Verse, éd. Frederick James Edward Raby, Oxford, Clarendon Press, 1959, p. 156-157 ; Paris, « La chanson à boire anglo-normande », p. 262-263 ; Ilvonen, Parodies de Thèmes Pieux, p. 113-114.
59 Pour la biographie de Nicolas Grenon, voir Craig Wright, Music at the Court of Burgundy. A Documented History, Henryville, Institute of Mediaeval Music, 1979, p. 97-98 ; Craig M. Wright, « Grenon, Nicolas », The New Grove Dictionary of Music and Musicians, éd. Stanley Sadie, Washington, Macmillan, 1980, vol. 10, p. 382.
60 Concernant le rondeau, voir Nigel Wilkins, « The Post-Machaut Generation of Poet-Musicians », Nottingham Mediaeval Studies, 22, 1968, p. 40-84, ici p. 74-76.
61 Le Manuscrit de Bayeux. Texte et Musique d’un Recueil de chansons du xve siècle, éd. Théodore Gérold, Strasbourg, Librairie Istra, 1921, p. xliii.
62 Roseline Foltz-Amable, « Les Arts de seconde rhétorique de la fin du xive siècle à la première moitié du xvie siècle : une Deffence et Illustration de la langue françoyse avant l’heure », Questes [En ligne], 33, 2016, p. 45-62, ici p. 51, mis en ligne le 15 juin 2016, consulté le 3 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/ questes/4293 ; DOI : 10.4000/questes.4293.
63 Voir Denis Huë, « Le Vers et le Nombre : Notes sur Quelques Théories Poétiques », Nouvelle Revue du xvie siècle, 18/1, 2000, p. 25-40, ici p. 34 ; Foltz-Amable, « Les Arts de Seconde Rhétorique de la Fin du xive Siècle à la Première Moitié du xvie siècle : une Deffence et Illustration de la langue françoyse avant l’heure », p. 51.
64 Thomas Schmidt-Beste, Textdeklamation in der Motette des 15. Jahrhunderts, Turnhout, Brepols, 2003, p. 210-230.
65 Brittain, The Medieval Latin and Romance Lyric, p. 96.
66 Nous reprenons la terminologie de Jean de Garlande, qui oppose la cadence spondaïque (pour les mots paroxytons) à la cadence iambique (pour les mots proparoxytons). « “Iambus” in hoc loco intelligitur “dictio cuius penultima corripitur” ; iambus enim constat ex brevi et longa. “Spondeus” hic dicitur “dictio stans ad modum spondee.” », John of Garland, Parisiana poetria, éd. Traugott Lawler, New Haven, Yale University Press, 1974, p. 160. Le choix du terme spondaïque, sur lequel s’interroge notamment Fassler (« Accent, Meter, and Rhythm in Medieval Treatises “De rithmis” », The Journal of Musicology, 5/2, 1987, p. 164-190, ici p. 182), dérive probablement du fait que la dernière syllabe d’un vers était peut-être accentuée et longue dans le système de Garlande, peu importe sa véritable nature accentuelle : « Rien dans les textes ne permet de supposer une prononciation marquée de cette finale, peut-être plus nettement prononcée que la pénultième atone, par l’effet de la régularité rythmique du vers qui tend à se continuer, mais de toute façon secondaire par rapport à l’accent principal. », Pascale Bourgain, « Le Vocabulaire Technique de la Poésie Rythmique », Archivum latinitatis medii ævi, 51, 1992, p. 139-193, ici p. 186. Cependant, Bourgain rappelle que cet accent est toutefois défendu « par les spécialistes du vers roman, notamment français, qui en ont besoin pour expliquer l’origine des rimes masculines. Ils apportent pour preuve les rimes de mots français à finale masculine avec des mots latins, mais l’introduction d’une langue étrangère suppose toujours une certaine élasticité », ibid., n. 142.
67 Voir à ce sujet Dag Norberg, An Introduction to the Study of Medieval Latin Versification, Washington, The Catholic University of America Press, 2004, p. 109, 112.
68 Voir Fassler, « Accent, Meter, and Rhythm », p. 183-184.
69 Stevens, Words and Music, p. 92.
70 Bourgain, « Le Vocabulaire Technique de la Poésie Rythmique », p. 155.
71 Est utilisé ici le concept d’initium développé par Graeme Boone afin de qualifier, dans les différents niveaux de la mesure (modus, tempus et prolatio), ce qui serait aujourd’hui communément entendu par « temps fort » : « “Initium” would then refer to the beginning of any event or duration (or to pulse as well, inasmuch as pulse can be considered as marking the beginning of a duration). My use of the term here takes a narrower focus that concerns not durational inception per se, but rather pulse itself, when it occupies the initial position on any level of an ordered, recurrent pulse framework. », Graeme M. Boone, « Marking Mensural Time », Music Theory Spectrum, 22/1, 2000, p. 1-43, ici p. 6. Graeme Boone a démontré que les initia s’avèrent des moments privilégiés concernant le placement des consonances, les attaques ainsi que les accents poétiques dans les polyphonies des xive et xve siècles. Voir également Graeme Boone, Patterns in Play. A Model for Text Setting in the Early French Songs of Guillaume Dufay, Lincoln & London, University of Nebraska Press, 1999. Depuis, le concept se rencontre régulièrement dans la littérature assimilée. Voir notamment Ruth I. DeFord, Tactus, Mensuration, and Rhythm in Renaissance Music, Cambridge, Cambridge University Press, 2015, p. 38-39 ; Lawrence M. Earp, « Declamatory Dissonance in Machaut », Citation and Authority in Medieval and Renaissance Musical Culture: Learning from the Learned, éd. Suzannah Clark, Elizabeth Eva Leach, Woodbridge, The Boydell Press, 2005, p. 102-121.
72 Thomas Schmidt-Beste, « Singing the Hiccup – On Texting the Hocket », Early Music History, 32, 2013, p. 225-275, ici p. 261-268 ; Thomas Schmidt-Beste, Textdeklamation in der Motette des 15. Jahrhunderts, p. 197 ; Jonathan King, « Texting in Early Fifteenth-Century Sacred Polyphony », thèse de doctorat, University of Oxford, 1996, p. 194-199. Pour Graeme Boone, voir supra n. 71.
73 Le terme est ici utilisé dans son acception rythmique, à la manière de la percussio mentionnée par Jean de Garlande (grammairien) dans la Parisiana poetria. Pour l’usage, voir ibid., p. 183.
74 Lote, Histoire du Vers Français, vol. 1, p. 28.
75 « Throughout them one finds a consistent, heavily marked down ictus. When there is irregularity in the word accent of the verse, it seems to get subsumed by the undeniable force created by the predominating regularity of the accent. In addition, the striking regularity of line length, strophic patterns, and rhyming cadences serves to heighten the relentless thrust of the trochaic accent. », Margot Fassler, « The Role of the Parisian Sequence in the Evolution of Notre-Dame Polyphony », Speculum, 67/2, 1987, p. 345-374, ici p. 360.
76 Suivant l’hypothèse de Bourgain à propos de la régularité théorique de l’accent : « Il est possible que ce besoin soit lié à l’évolution musicale, à un goût croissant pour une musique régulièrement battue, ou au contraire que l’accent soit un relai de la musique alors que la poésie s’en détache. », Bourgain, « Le vocabulaire technique de la poésie rythmique », p. 188.
77 Les mots de Sanders sont particulièrement révélateurs sur ce point : « Even the Latin polyphonic songs (cantilenæ) composed in fourteenth-century England, though clearly far more solicitous of the accents of the words, occasionally still sacrifice them to the rhythmic regularity of the musical setting to which the syllables are tied. », Ernest Sanders, « Rithmus », Essays on Medieval Music in Honor of David G. Hughes, éd. Graeme M. Boone, 1995, p. 415-440, ici p. 440.
78 Pour les arrangements polyphoniques de la séquence, voir Axel Emmerling, Studien zur mehrstimmigen Sequenz des deutschen Sprachraums im 15. und 16. Jahrhundert, Kassel, Bärenreiter, 1989, vol. 2, p. 40-41.
79 Trento, Biblioteca del Castello del Buonconsiglio, Monumenti e Collezioni Provinciali 1379 (olim 92), fol. 70v-71r (68v-69r).
80 Ibid., fol. 68v-69r (66v-67r).
81 Paris, BnF, Lat. 13254, fol. 125r ; Lat. 1139, fol. 81r.
82 Bien qu’il s’agisse d’un imprimé (France, Le Mans, Médiathèque Louis Aragon, Gradulæ Cenomanense politissimum, plurimis imaginibus tam tempori quam sanctis congruentibus illustratem aliisque conducentibus et necessariis, ut intuenti constabit), la séquence a été copiée à la main. Cette main est vraisemblablement du XVIe siècle et rappelle certains ajouts retrouvés dans une autre version du graduel (collection privée) étudiée par Xavier Bisaro dans « L’invitation au voyage. À propos de deux exemplaires du Graduale Cenomanense (1515) », La Circulation de la musique et des musiciens d’église. France, xvie-xviiie siècle, éd. Xavier Bisaro, Gisèle Clément et Fañch Thoraval, Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 83-102.
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Quelques mots à propos de : Kévin Roger
Kévin Roger est docteur en musicologie de l’Université de Tours et chercheur associé au Centre d’études supérieures de la Renaissance. Ses recherches se concentrent sur la composition du motet isorythmique au xvie et au xve siècle. Il est l’auteur d’une thèse intitulée La composition du tenor dans le motet isorythmique post-Machaut (1370-1420), sous la direction de Daniel Saulnier. Il est également l’auteur de publications sur le contenu poétique des motets latins et le savoir pluridisciplinaire
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