De la philologie comme forme d’exécution des œuvres médiévales. Le bruit des innovations et les variantes des interprètes

Par Claudio Galderisi
Publication en ligne le 15 octobre 2020

Résumé

The varia lectio of medieval literary works is not only the direct trace of a sequence of modifications that the manuscript has undergone for more or less objective reasons, it bears also witness to the different paths that the auctoritas can follow. To identify among the multitude of variants that sometimes enrich the original text – originating from its different interpretations or executions – the mere errors to be corrected, the gaps to be reduced, the anachronisms to be banished, the lectiones faciliores whose trivialization deserves to be recognized and amended: all this is a philological task that should not be separated from the hermeneutical act that it implies. The necessary quest for the original lesson and even more for the lectio difficilior, which exalts the work of the philologist, thus able to identify the work of anastylosis of yesteryear’s copyists, has sometimes lost sight of all that lectio facilior reveals us about the circulation and the reception of a text, a word, an expression. The present reflection seeks to explore the richness that errors can reveal to the hermeneut. Like Victor Hugo praising great scholars, the philologist could also exclaim: « Ô erreurs erreurs sacrées, mères lentes, aveugles et saintes de la vérité » (‘O sacred errors, slow, blind and blessed mothers of the truth…’).

La varia lectio des œuvres médiévales n’est pas seulement la trace directe d’une série de modifications que le texte manuscrit a subies pour des raisons plus ou moins objectives, elle est aussi le témoignage d’autres parcours que l’auctoritas emprunte. Reconnaître dans les multitudes de variantes qui enrichissent parfois comme autant d’interprétations, d’exécutions le texte premier de simples erreurs à corriger, des écarts à réduire, des anachronismes à bannir, des lectiones faciliores dont la banalisation mérite d’être reconstituée et amendée, est une action philologique qui ne devrait pas être séparée de l’acte herméneutique qu’elle implique. La quête nécessaire de la leçon originale et plus encore de la lectio difficilior, qui exalte le travail du philologue, capable ainsi d’identifier le travail d’anastylose des copistes d’antan, a fait parfois perdre de vue tout ce que la lectio facilior nous révèle sur le parcours et la réception d’une œuvre, d’un mot, d’une expression. C’est cette richesse que l’erreur peut révéler à l’herméneute que cherche à explorer la présente réflexion. À l’instar de Victor Hugo, faisant l’éloge des grands savants, le philologue pourrait ainsi s’écrier : « Ô erreurs sacrées, mères lentes, aveugles et saintes de la vérité ».

Mots-Clés

Texte intégral

A man of genius makes no mistakes. His errors are volitional and are the portals of discovery (James Joyce, Ulysses, Episode 9)

1Ce ne serait ni élégant ni généreux de remercier Christelle Chaillou-Amadieu, Gisèle Clément, Federico Saviotti et Fabio Zinelli de m’avoir invité à ouvrir cette troisième rencontre franco-italienne de philologie et musicologie en déclarant d’emblée mon incompétence à parler de musique médiévale, et en soulignant ainsi leur excès d’amicale confiance en mes connaissances.

2Lors de la conférence inaugurale du colloque que Fabio Zinelli et Christelle Chaillou-Amadieu avaient organisé en 20131, Michel Zink avait aussi prétexté une erreur de casting. Mais en plus de pouvoir s’appuyer sur une sensibilité musicale indéniable et une passion pour le chant profane bien connue de ses amis, le secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscription et Belles-Lettres pouvait se prévaloir d’avoir bénéficié des séminaires de Solange Corbin et d’avoir profité des cours de Marie-Noël Colette. Rien de comparable pour moi, qui n’ai suivi que quelques cours de musicologie à la Sapienza dans les années 1980. S’il est vrai, comme le disait Max Scheler, que l’humilité est « une course entre la vanité et la honte où c’est la honte qui gagne2 », c’est bien la honte qui justifie ma captatio benevolentiae. Bref, rien ne me désignait pour prononcer la conférence liminaire, si ce n’est peut-être une question naïve que j’avais posée lors du colloque sur Les Noces de Philologie et de Musicologie3.

3Cette question portait sur la notion de faute et sur l’influence qu’une conception très différente, selon les disciplines, de cette brique de base de la science philologique pouvait avoir sur l’établissement des traditions manuscrites, qu’elles soient textuelles ou musicales. À vrai dire, il s’agissait moins d’une vraie question que d’un simple constat, assez banal, et cela indépendamment des différences propres à chaque discipline. Il suffit d’étudier un texte médiéval comportant des traductions d’auctoritates pour se rendre compte que le stemma codicum peut être perturbé par la transmission de citations venant d’autres versions de la même traduction. Nous savons bien que ces citations peuvent relever d’autres traditions manuscrites et dessiner donc des arborescences assez différentes de celle du texte dans lesquelles elles sont pour ainsi dire serties. Sans parler des textes bilingues ou des épîtres farcies, sur lesquelles je ne m’arrêterai pas, car il y a parmi nous Marie-Noël Colette qui connaît parfaitement ces épîtres et leur notation musicale4.

4Dans ce même colloque, Christelle Chaillou-Amadieu avait d’ailleurs analysé avec l’acribie du philologue et la sensibilité du musicologue la question de l’erreur et de la variante musicale, en s’appuyant sur la notion de « déviation » par rapport à la norme musicale ou simplement au principe harmonique du corpus examiné. En paraphrasant saint Thomas, qui mettait en garde contre les abus de l’allégorèse dans l’exégèse (« nihil est quod occulte in aliquo loco sacrae Scripturae tradatur quod non alibi manifeste exponatur5 »), on pourrait dire qu’il n’y a rien de fautif dans le texte que l’œuvre ne permette de vérifier comme tel. Quelques siècles plus tard, la théorie littéraire élaborera la méthode interprétative des « passages parallèles » (Parallelstellenmethode6), qui se fonde sur le même principe herméneutique et qui permet de vérifier la concordance entre l’intentio auctoris et l’intentio lectoris.

5La faute – et j’insiste ici sur la faute et non sur la lectio facilior, qui relève, elle, principalement, d’un principe de mimétisme de la communication – n’a pas seulement philologiquement une valence conjonctive ou séparative par rapport à une occurrence similaire présente dans un autre témoin, elle possède d’abord une charge disjonctive au sein du corpus dans laquelle elle s’est glissée plus ou moins volontairement. C’est cette empreinte génétique, très différente de celle des hapax, qui permet souvent de l’identifier comme une variante, même dans le cas de textes ou de mélodies qui nous sont parvenus à travers un manuscrit unique. C’est ainsi que Ch. Chaillou distingue deux catégories de variantes musicales : les variantes sonores et les variantes graphiques. Elle écrit à ce propos que :

Les variantes sonores font état de changements dans la consistance mélodique et montrent en quelque sorte la variabilité de la performance musicale tandis que les variantes graphiques relèvent principalement de la manière d’écrire ou de présenter la mélodie dans le manuscrit7.

6Mutatis mutandis, on pourrait appliquer une telle typologie aux variantes textuelles, qui sont pour l’essentiel de deux genres : des variantes de contenu et des variantes morphologiques et/ou graphiques, dont l’origine peut être aussi sonore ou plus exactement auditive8. La formule « fabrique du texte » n’est pas seulement une métaphore à la page chez les critiques modernes, elle est au Moyen Âge une réalité quotidienne des scriptoria. Une application mécanique de la méthode lachmannienne ne peut en rendre compte que de manière imparfaite, et je dirais même selon une logique épistémique inversée. Entendons-nous bien, je n’entends pas parler de la sempiternelle variance du texte, qui peut être aussi un leurre dû au regard du philologue qui embrasse une tradition manuscrite qu’aucun clerc n’a réellement eue sous les yeux. Dans un entretien avec les éditeurs du colloque Les Noces de Philologie et Musicologie, M. Zink écrit à ce propos que la « variance libre » n’existait presque pas au Moyen Âge :

On ne disait pas n’importe quoi et on n’improvisait pas au gré des circonstances. Cela dépend toutefois des formes. Il y a des formes dans lesquelles on recompose davantage ; les chansons de geste autorisent par exemple des versions différentes. Mais on ne peut pas dire qu’on pouvait faire n’importe quoi du texte. Encore une fois, les auteurs ne cessent de dire le contraire : « Faites attention », « Ne corrigez pas », etc. Si on pense aux conditions de conservation des copies, ces variantes restent minimes, bien inférieures à ce que donnerait l’impression d’un livre chez un imprimeur que l’on ne surveillerait pas de très près en corrigeant par trois fois les épreuves9.

7Cette stabilité peut parfois donner le sentiment au lecteur moderne qui passe d’un manuscrit ou d’une édition à l’autre d’une même œuvre, et qui n’est pas un spécialiste d’histoire de la langue, qu’il a sous les yeux fondamentalement le même texte, car la variance y concerne souvent la graphie et la morphologie. La critique génétique, qui s’intéresse à la genèse éditoriale, a souvent été confrontée à des variantes et à des erreurs d’auteur plus significatives et plus substantielles que celles qui intéressent les philologues et enrichissent les apparats des éditions critiques.

8Mais qu’il me soit permis de porter, pour une fois, un regard un peu différent de celui de M. Zink. Lorsqu’on analyse de plus près ces textes médiévaux, on s’aperçoit aussi que cela dépend beaucoup du statut des textes (scientifiques, religieux, historiques) des genres (narratifs ou poétiques, lais et dits ou formes fixes) et de la place que peut occuper la voix dans l’exécution de l’œuvre, et souvent, par ricochet, dans la mise à l’écrit qui peut s’ensuivre. M. Zink évoque le cas des chansons de geste. Je retiens surtout dans son exemple le mot « chanson », car c’est surtout le chant qui se prête à la circulation orale, à la performance, à une réception et à une herméneutique de l’audition, et donc à la mouvance. Il serait abusif de mettre simplement ces écarts sur le compte de la technique de reproduction et de transmission des textes. Il suffirait d’ailleurs de comparer les modernes livrets qui accompagnent parfois les CD pour constater encore de nos jours la présence de ces variantes lexicales et musicales, sans qu’il soit toujours possible de dire si la différence, la « déviation », tient à un choix de l’artiste, à une simple faute, à un lapsus vocis ou à un « déraillement de la voix ».

9Nous allons beaucoup parler pendant ces quatre journées de variantes interprétées comme des erreurs et d’erreurs pouvant être lues comme des variantes10. Les deux conférences plénières de Marie-Noël Colette et Frédéric Duval leur seront notamment consacrées. Mais dans le cas de compilations textuelles ou de « mariage », pour filer la métaphore de Martianus Capella, de mots et de notes, voire de mots et d’images, la cohérence interne de chaque ensemble ainsi que son éventuelle circulation autonome peuvent produire un mélange d’erreurs, de variantes et de corrections. Le philologue et le musicologue sont alors obligés de reconnaître que la quête de l’original, toujours problématique en soi, peut suivre des cheminements parallèles et donner lieu à des stemmata codicum différents, nous révélant des traditions textuelles entremêlées et hybrides, dans lesquelles la création artistique ne peut être réduite à l’acte premier, à l’auctoritas originale. Que l’on me pardonne l’anachronisme, mais qui oserait affirmer aujourd’hui que l’interprétation de Hallelujah par Jeff Buckley n’est qu’une exécution fautive du chef-d’œuvre de Leonard Cohen, et que sa cover devrait être rejetée dans la varia lectio de cette chanson ? Le célèbre compositeur québécois, qui s’était à son tour inspiré de cette exécution adiaphore pour ses multiples réécritures et interprétations de sa propre chanson, aurait été le premier à contester une telle surestimation d’une autorité créatrice qu’il a lui-même disséminée dans une quinzaine de versions. J’y reviendrai.

10Par-delà la question des noces mouvementées de Musicologie et de Philologie, et des adultères auctoriaux dont témoignent plusieurs traditions manuscrites, c’est surtout sur la question de l’exécution, que je distinguerai ici de l’interprétation, que je souhaiterais m’arrêter dans la deuxième partie de mon propos. Car cette notion dépasse, me semble-t-il, les concepts d’erreur et de variante et relie tant bien que mal le philologue et le musicologue modernes au clerc et à l’artiste médiévaux.

11D’emblée une série de mises au point terminologiques et épistémologiques s’imposent, avant de scruter d’un peu plus près quelques exemples d’exécutions poétiques médiévales.

Des clercs et des philologues

12Les philologues ici présents se souviennent sans doute d’une phrase de Hans Robert Jauss qui avait pour cible affichée le positivisme des éditeurs de texte : « Jamais aucun texte n’a été écrit pour être lu et interprété philologiquement par des philologues11 ». S’il y avait parmi nous des épigones du maître de Constance, ils seraient sans doute tentés de compléter ce premier axiome en ajoutant qu’« aucune musique n’a été composée au Moyen Âge pour être étudiée et exécutée par des musicologues ». D’autres critiques célèbres, tels que Robert Guiette ou Paul Zumthor, avaient à cette même époque invité les philologues à faire preuve de plus d’humilité dans leur œuvre de restauration des œuvres médiévales. Avec le sens de la formule qui était le sien, Daniel Poirion s’était adressé à ceux qu’il appelait les « jansénistes de la philologie » en leur rappelant que « les variations apportées à un texte par des variantes de détail ou des versions nettement divergentes ont elles-mêmes un sens et une histoire qu’il faut retrouver12 ». Gianfranco Folena s’était exprimé dans des termes similaires en parlant de la « généalogie des géo-variantes13 ».

13Le théorème énoncé par D. Poirion était, à bien y regarder, tout le contraire d’une critique de la méthode ecdotique, la philologie devant servir pour l’éditeur qui a offert à Chrétien de Troyes le papier bible de la Pléiade non seulement à retrouver la leçon d’un original plus ou moins hypothétique mais surtout à faire ressurgir, à travers une généalogie du texte, son histoire culturelle, l’amoncellement de gloses et de réécritures qu’il charrie avec lui, en le vivifiant, au risque parfois de le défigurer. Les variantes ne sont plus seulement les traces directes d’une déviation de l’œuvre mais aussi les indices d’une autre forme d’auctoritas, liée non pas à l’auteur premier, souvent anonyme dans les lettres médiévales, notamment françaises, mais à ces avatars que sont les copistes. La position de D. Poirion, qui est aussi la mienne, n’est pas antiphilologique, bien au contraire. Elle rouvre à la philologie le champ de l’interprétation, le temps profond de l’histoire littéraire du texte, et ne la confine pas dans celui de la reproduction fidèle, par conséquent anachronique (car rien ne permettra de récréer l’horizon de production et de réception original) de l’œuvre médiévale. La philologie ne peut pas avoir pour seul but une sorte d’anastylose neutre, et cela que cette reconstruction assume la forme de la restauration interventionniste néo-lachmannienne ou de la conservation bédiériste. Certes nous avons tous besoin d’un arrimage de la signification de la lettre à son contexte de production, mais nous ne pouvons pas résumer la compréhension du texte à la restauration pure et simple de sa forme originelle14. Autrement nous risquerions de mettre au chômage, par exemple, quelques milliers d’antiquisants à travers le monde, qui ne pourraient et devraient plus oser parler des chefs-d’œuvre d’Homère. Que peut-on dire en effet dans une telle perspective sur des œuvres qui nous sont parvenues à travers des manuscrits copiés, pour les plus anciens, dix-sept ou dix-huit siècles après la composition probable des deux poèmes ? Ces manuscrits sont bien plus proches de nous que des aèdes qui chantaient les gestes du Péléide le plus célèbre de l’histoire.

14Comprendre sans nécessairement pouvoir expliquer, reconstituer à l’identique l’original, le texte dans son bouillon primitif, sans prétendre abolir la distance qui nous en sépare à jamais, telle était la mission que Schleiermacher avait confié à la philologie à l’origine15. Comme je le soulignais déjà dans un article récent :

Toute la théorie moderne post-heideggérienne s’est construite à partir du refus du primat de la réception première ; elle s’est élaborée sur une sorte d’antiphilologisme que l’intention du texte, d’abord, la théorie de la réception, ensuite, l’œuvre ouverte, enfin, ont élevé à système, au risque de tant de surinterprétations et de mésinterprétations. Sans la philologie, sans l’étude savante des conditions de production et de diffusion du texte antique et médiéval, sans la reconstitution ecdotique, aussi problématique et partielle, voire partiale soit-elle, aucune activité herméneutique n’est possible ni même justifiée16 !

15C’est ce que reconnaissait déjà Roland Barthes : « Personne, aujourd’hui, quelque philosophie qu’il adopte, ne songe à contester l’utilité de l’érudition, l’intérêt des mises au point historiques17 ».

16On se souvient, par exemple, des analyses psychanalytiques suggestives sur l’amplification du jugement de Pâris dans le Roman d’Eneas (v. 93-182), que Virgile avait liquidé en deux vers célèbres (« manet alta mente repostum / iudicium Paridis », Æn. I, v. 26). Une partie de la critique s’était fondée sur la leçon du manuscrit A, en oubliant que dans le manuscrit D, tardif mais plus proche du texte latin, et peut-être de l’original vernaculaire, le jugement de Pâris est aussi expédié en trois vers (v. 85-8718). Il est vrai qu’à l’époque où les interprétations auxquelles je fais allusion ont fleuri19 les médiévistes ne disposaient pas encore de l’édition du manuscrit D, mais ils auraient pu appuyer leurs conclusions sur l’édition critique établie par Salverda de Grave en 189120, trop vite oubliée au profit de l’édition bédiériste parue en 1925-192921. Cependant, la tentation d’une herméneutique bédiériste totalisante, qui ne s’embarrasse pas de la tradition manuscrite, et qui n’essaie même pas, comme le suggère D. Poirion, d’inscrire l’interprétation dans une perspective philologique, dans une dimension d’histoire culturelle, est encore présente chez les médiévistes.

17Répétons-le clairement : même l’œuvre ouverte ou une musique interprétée ont besoin d’une édition ou d’une partition fiable à déconstruire ou dont on peut prétendre démontrer la multitude des significations, des interprétations, des exécutions. L’erreur est dans ce sens une porte qui donne accès aux deux versants de l’œuvre : l’amont et l’aval. Elle peut être perçue comme une sorte de rayonnement fossile du texte ; mais ce rayonnement fossile ne nous révèle pas seulement ce qui s’est produit après sa création première, après ce que l’on pourrait appeler le big bang de sa reproduction manuscrite, il nous éclaire aussi indirectement sur le processus de création de l’œuvre elle-même, sur les raisons, par exemple, qui ont pu conduire un auteur à choisir une lectio difficilior à la place de la multitude des lectiones faciliores qui s’offraient à lui, et que d’autres auteurs à la même époque – et non seulement des copistes ignares quelques décennies plus tard – choisissent de privilégier dans d’autres œuvres.

18Un seul exemple. Le mot « taleboté » ne se retrouve que chez Jean Renart, dans le Guillaume de Dole (v. 2619) et dans l’Escoufle (v. 5595). Sa compréhension est donc problématique. Mais que l’on comprenne, sans doute erronément, ‘couvert de bouton (comme du lait caillé)’, comme le fait Jean Dufournet dans sa traduction du Guillaume de Dole22, acceptant ainsi implicitement la lecture « caleboté », ou que l’on entende plutôt au sens de ‘noirci, crasseux’, comme le proposent Michel Dubois23 et Jean-Jacques Vincensini24, il est indéniable qu’à la place de cet hapax, sans doute d’origine normande, Jean Renart aurait pu souligner le fait que le visage du héros n’était pas noirci, en utilisant l’épithète littéraire la plus employée dans un tel contexte par ses confrères : « cler vis »… Le hasard et l’infortune littéraire du récit ont voulu que le manuscrit unique préserve une lectio difficilior que les copistes auraient eu sans doute le plus grand mal à comprendre et à conserver, et que la diffraction in absentia et la science lexicographique n’auraient peut-être pas permis de conjecturer.

19Peut-on ici regretter que ces deux catégories ecdotiques, si importantes pour les philologues, n’aient été que trop rarement utilisées dans une perspective d’interprétation poétique et ou intellectuelle de l’œuvre médiévale ? Les erreurs qui nous révèlent par exemple l’empreinte cachée ou hypothétique d’une leçon difficile nous disent aussi autre chose et sur l’auteur qui est en amont et sur le « ré-écrivain » subalterne qui se situe en aval, soit-il un copiste servile ou une sorte d’editor avant la lettre, tenté d’améliorer l’intelligibilité ou la beauté du texte ou de la musique qu’il a sous les yeux. La lectio difficilior signifie d’abord que l’auteur qui l’a utilisée25 a choisi de s’écarter de la voie plénière de la langue courante – y compris du langage littéraire dominant –, qu’il a accompli un choix intellectuel, lexical, métrique, poétique ou musical qui pouvait prêter à confusion, à malentendu, et qui était donc susceptible de provoquer un changement, une variante fautive, avant de devenir le terrain d’exercice des philologues quelques siècles plus tard. En même temps, la lectio facilior ne peut pas être systématiquement interprétée comme une forme de banalisation, une mécompréhension, l’erreur d’un copiste ignorant ou insensible ; elle peut aussi être expliquée comme un choix de restitution, comme une forme de transfert culturel, bref comme une exécution du texte adaptée à une autre esthétique, à une autre éthique, à un horizon d’attente différent, à un goût artistique nouveau. Un spécialiste de la critique du texte biblique, Ernst Cadman Colwell, a parlé à ce propos d’« harmonisation to the immediate context 26». Nous acceptons tous l’idée que la traduction d’une langue à l’autre puisse comporter une déperdition de sens, de formes, de structures prosaïques ou poétiques, de suggestions verbales, sonores, visuelles, et d’erreurs ou présumées telles. Que l’on pense aux célèbres cornes dont saint Jérôme affuble Moïse dans sa traduction d’Exode xxxiv, 2927. Nous sommes également tous d’accord pour soutenir que la multiplicité des traductions d’une même œuvre constitue une nécessité, une condition de sa survie, quelle que soit la qualité des traductions qui ont pu précéder la dernière en date. Or une traduction n’est autre qu’un vaste ensemble de variantes, et parfois d’erreurs28. Nous pouvons considérer même cette variance comme constitutive de la traduction, comme une forme d’exécution. Et je ne crois pas me tromper en disant que ce processus de transfert culturel est à l’œuvre aussi dans l’écriture musicale. Les manuscrits du plain-chant liturgique, notés à partir du ixe siècle, transmettent un très large répertoire musical, chanté à travers l’Europe pour la messe et l’office tout au long de toute l’année liturgique. Les variantes que l’on trouve dans les sources témoignent des « dialectes régionaux » plutôt que des « fautes » ou « écarts » par rapport à la norme. Dans ce contexte, il est très difficile de distinguer entre une faute et une tradition locale transmise fidèlement dans une église ou un monastère. Certaines de ces variantes, visibles sur la feuille du parchemin ou à travers une analyse mélodique, avaient toute une autre dimension dans la réalité vocale de leur exécution et pouvaient ne pas être perceptibles29. Or pour nombre de scribes médiévaux, copier est aussi exécuter un texte, en transférer le sens et la forme dans une langue qui est la même sans l’être plus tout à fait. On sait que la morphologie, la syntaxe et parfois le lexique d’un ou deux siècles plus tôt pouvaient être perçus par le lecteur médiéval francophone comme un système de signes fondamentalement étranger, et cependant pas assez pour bénéficier de l’auxilium d’une traduction. Il arrive ainsi que ce que nous appelons lectio facilior, et qui l’est indiscutablement par rapport à la leçon originale ou prétendument telle, n’en soit pas tout à fait une dans le contexte de production qui la génère. Toute lectio facilior peut être la lectio difficilior d’une autre leçon, cela dépend plus de l’horizon d’attente du lecteur que du jugement critique du philologue.

20L’erreur, qu’il s’agisse d’une perception anachronique, d’une forme d’écart volontaire ou d’une vraie faute, est une de ces formes de secours que la lettre, mais on pourrait en dire autant de la note, peut porter à elle-même. L’erreur, en effet, ne nous éclaire pas seulement sur le texte qui l’a générée, y compris in absentia, comme l’a montré Gianfranco Contini avec certaines formes de la diffraction ; elle ne nous révèle pas uniquement des difficultés d’accès au texte (difficultés lexicales, grammaticales, culturelles, paléographiques, etc.) ; elle fait aussi apparaître des seuils de perméabilité ou de réceptivité de l’œuvre. Même la parablepsis, par-delà sa nature d’erreur mécanique, peut nous révéler une forme d’ambiguïté du texte due non seulement à sa mise en pages – le piège à copistes – ou à sa facies linguistique mais aussi à une virtualité syntaxique que le saut du même au même peut faire (re)surgir30. Autrement dit, l’erreur n’est pas seulement l’indice d’une distorsion du texte ou de la musique, d’une mécompréhension du sens, d’une rupture catastrophique du cercle herméneutique, d’une restauration qui dissimule la main du maître, elle est avant tout la preuve d’une exécution qui donne à la lettre et à la note une autre vie, qui lui fait emprunter une autre voie. L’erreur est donc souvent question de perspective et de conscience de l’écart, c’est-à-dire de connaissance. Dans les années 1960, Jean Cohen avait théorisé dans un livre original et très discuté31 la notion d’écart pour essayer de définir ce qui différencie le langage poétique du langage informatif. Il s’était fondé pour ce faire non sur les faits d’ordre lexicologique ou sur les tours syntaxiques hétéroclites ou incongrus, mais sur les dissemblances qui apparaissent dans les structures des deux formes de langage. Or l’erreur peut être aussi analysée comme une forme d’écart, mais un écart qui tend à réduire l’écart original, qui a donc pour objectif dans la plupart des cas de rapprocher le langage poétique du langage communicatif. Dans d’autres cas, plus rares, elle peut rechercher une forme de différenciation plus marquée par rapport à une leçon originale perçue comme trop proche du langage ordinaire, de l’expression non littéraire. Dans ce sens, l’erreur est ce qui rapproche le plus le copiste médiéval du philologue moderne, elle est la preuve d’une réaction à des loci critici qui peuvent ne pas être difficiliores.

21On retrouve ces phénomènes dans des traditions musicales. Je pense aux mélodies de la chanson de Bernart de Ventadorn (BdT 70.16) qu’a étudiées Ch. Chaillou-Amadieu dans sa typologie des variantes, où la « comparaison des deux témoins, dans ce cas R et G, laisse entrevoir une courbe musicale globalement semblable […] sans que nous sachions laquelle des deux a été transposée vis-à-vis de l’autre32 ».

22Arrêtons-nous brièvement sur l’un des cas les plus connus de multiplicité de leçons, celui-là même à partir duquel Contini avait élaboré sa théorie de la diffraction, et en l’occurrence de la diffraction in absentia : le vers 155 de la Vie de Saint Alexis33.

L’erreur féconde

23L’histoire est connue. En 1872, Gaston Paris et son élève Léopold Pannier publient l’editio maior du premier chef d’œuvre de l’hagiographie vernaculaire34. Voici leur transcription des vers 154-155 :

Plainons ensemble le dol de nostre ami,
Tu del seinor, jol ferai por mon fil35.

24Dans un compte rendu paru la même année36, Adolf Tobler suggère de remplacer la forme « seinor » par ce qu’il considère comme un synonyme monosyllabique, « per », au sens de ‘compagnon’. Le professeur du Collège de France accueille la suggestion dans son editio minor, parue l’année de sa mort (1903), ce qui donne la leçon suivante : « Tu por ton per, jol ferai por mon fil37 ». Dans deux travaux datés de 1968 et 197038, où il discute le stemma codicum de la Vie de Saint Alexis, Gianfranco Contini s’appuie sur la correction proposée par Tobler et acceptée par Paris pour élaborer et formaliser sa théorie de la diffraction : in praesentia, lorsque la lectio difficilior est attestée par au moins une des copies parvenues jusqu’à nous, in absentia, comme dans le cas de la Vie de Saint Alexis, quand aucun manuscrit n’a conservé la leçon de l’original. Voici pour rappel les leçons des cinq manuscrits39 de la Vie de Saint Alexis :

Tu de tun seinur, jol frai pur mun filz (Hildesheim, Dombibliothek, St. God. Nr 1, p. 57-68 [L])
Tu pur tun sire e je pur mun chier filz (Paris, BnF, n.a.fr. 4503, fol. 11v-19v [A])
Tu por tun seignor, je·l ferai por mun fiz (Paris, BnF, fr. 19525, fol. 26va-30vb [P])
Tu tun seignur, et jol frai pur mun fiz (Manchester, John Rylands University Library, French, 6, fol. 10 [P2])
L’une son fil et l’autre son mari (Paris, BnF, fr. 12471, fol. 51v-73v [S]).

25G. Contini expliquait ainsi la varia lectio :

[…] poiché sire/seignor è la forma più ovvia per ‘marito’ (specialmente in senso giuridico), essa può aver surrogato ovunque un concorrente più ‘difficile’ perpetuatosi fino ai piani più bassi della tradizione. Quella proposta dal Tobler è infatti una lectio difficilior, tanto più meritoria in quanto altrimenti il testo documenta per col valore di ‘socialmente uguale’, non di ‘coniuge’ o ‘amoroso compagno’ ; e s’intenda che la rarità appartiene al per maschile, non al femminile che in quest’accezione è, dal Roland in giù, banalissimo e formulare40.

26Depuis, la critique, notamment Fabrizio Beggiato41, a recensé une série d’exemples dans lesquels per a valeur de ‘compagnon masculin’, de ‘mari’, ce qui rend la lectio difficilior moins difficile. Le fait que ces exemples puissent être considérés comme relativement tardifs par rapport à l’un des premiers textes de la littérature d’oïl, paraît non seulement naturel, compte tenu de la datation haute de la Vie des Saint Alexis, pour laquelle nous n’avons que quatre ou cinq textes pouvant être considérés comme antérieurs, mais contribue à rendre encore moins difficile la leçon per pour les scribes des siècles suivants qui, copiant le récit hagiographique, n’ont pas pu être tous déroutés par un terme qui était utilisé ailleurs dans le sens proposé ici par le texte.

27La varia lectio serait donc due à la fois à un choix, à la censure si l’on préfère, que tous les copistes auraient opéré devant un per renvoyant trop explicitement à la dimension sensuelle de la relation de couple, et à une erreur de réécriture, puisque les mêmes copistes confrontés à une triple contrainte, lexicale (per), rhétorique (asyndète) et métrique (césure 4/6) optent pour des solutions très diverses qui laissent toutes entrevoir, singulièrement, la cicatrice de leur intervention, et dénotent, globalement, la présence d’un locus criticus. Variante et erreur se confondent et ne forment plus qu’une seule chose.

28Or il faut admettre que la conjecture « méritoire » de Tobler et la théorie fondamentale pour la critique du texte que Contini construit à partir de cette conjecture naissent aussi d’une erreur, ou du moins d’une compréhension lexicale imparfaite de ce que le mot per pouvait vouloir dire dans le contexte du vers. L’erreur créatrice n’est pas seulement ici constitutive de la transmission de l’œuvre42, elle a aussi une fonction sérendipique, puisqu’elle permet de découvrir ce que l’herméneute, et peut-être l’auteur non plus, ne recherchait pas : le lien sémantique entre le ‘tourtrele’ du vers 149, à travers lequel l’épouse abandonnée par le futur saint se désigne, selon la tradition des bestiaires, à la fois en amant et en épouse fidèle, et le « per » (‘tourtereau’), du vers 155 qui signale ce que justement Alexis a voulu fuir en blâmant la « mortel vithe » (v. 63) et en rappelant à sa jeune pucelle qu’elle doit épouser « Ki nus raens de sun sanc precïus » (v. 65) : le Christ.

29Même si l’on devait retrouver une copie plus proche du probable archétype anglo-normand comportant la leçon « seinur », obligeant ainsi les philologues à reconnaître que la seule source d’une lectio, qui serait du coup moins varia, est l’asyndète et la construction en chiasme du v. 155, les erreurs des copistes et celles des philologues n’en seraient pas moins productives. Elles auraient permis, en effet, de faire ressurgir une virtualité poétique féconde (tourtrele/per) que l’auteur n’aurait pas voulu ou su actualiser. La rupture du cercle herméneutique aurait ainsi permis de mieux saisir l’horizon de production de l’œuvre.

Tradition manuscrite et tradition imprimée

30Lorsqu’on compare d’ailleurs une tradition manuscrite complexe et la tradition des éditions critiques auxquelles elle peut donner lieu, y compris dans une perspective rigoureusement lachmannienne, on constate souvent que la seconde, censée pourtant se fonder sur une méthode objective et scientifique, produit autant de variantes, d’exécutions du texte, d’erreurs si l’on préfère, que les copistes médiévaux les moins scrupuleux, les plus interventionnistes ou les plus ignares. Une histoire des éditions critiques, par exemple de la Vie de Saint Alexis, mais on pourrait en dire autant pour la tradition musicale des chansons de Bernard de Ventadorn serait aussi intéressante que celle de sa tradition manuscrite. La diffraction chère à Contini est à l’œuvre dans l’une comme dans l’autre, seulement elle est in absentia dans la première et clairement in praesentia dans la seconde, du moins tant que nos bibliothèques continuent de conserver tous les témoins imprimés de cette tradition. La seule différence essentielle entre les deux traditions est dans la chronologie inversée des stemmata. Le stemma codicum nous propose un instantané critique de la tradition manuscrite d’une œuvre, en nous indiquant les relations entre les codices dans le but de retrouver l’archétype ou l’original, alors que dans le stemma editionum, la dernière édition critique se veut toujours plus proche de l’original que la première, et fondamentalement meilleure, du moins en tant qu’hypothèse de travail43. De sorte que l’on pourrait synthétiser le processus en paraphrasant l’adage : recentiores sunt meliores, même si j’ajouterais sed non semper.

31Bref, une recherche philologique néo-lachmannienne, et non seulement des éditions basées sur la méthode de la faute conjonctive, pourrait apporter à l’histoire de la création médiévale bien plus qu’une simple approché herméneutique néo-bédiériste qui ancre le texte à l’un de ses avatars, et pas toujours au plus crédible. Entendue comme une étude critique des dynamiques qui relient stabilité et mouvance textuelles, la critique néo-lachmannienne peut permettre de sortir de l’aporie du cercle herméneutique, de l’impasse de l’horizon de création et de réception immédiate de l’œuvre.

Actio et exécution

32À la fin des années 1960, dans un livre qui a fait date44 et qui a été beaucoup discuté45, y compris par des musicologues, un logicien américain, Nelson Goodman, avait distingué les arts en deux grandes catégories : les arts « autographiques » et les arts « allographiques ». Dans les premiers, la reproduction d’une œuvre – fût-elle identique à l’original, comme par exemple les estampes – n’acquiert jamais un statut d’authenticité, alors que dans les seconds, l’œuvre peut être instanciée un nombre indéterminé de fois. Goodman citait à l’appui de sa définition le cas de la partition de musique qui peut donner lieu à des exécutions multiples et différentes46. C’est donc la notation qui caractérise les arts « allographiques », et au premier lieu la musique, mais aussi la danse, et qui serait absente des arts « autographiques », comme la sculpture ou la peinture47. Sa théorie de la notation, qui est presque axiomatisée, se fonde sur la notion de concordance48, plus exactement sur la corrélation entre un schéma symbolique utilisé comme notation et un domaine de référence. Une notation peut être en corrélation avec une multitude de choses que Goodman appelle « une classe de concordance », ce qui peut être le cas de la multiplicité d’exécutions d’une seule note de musique. Mais pour Goodman « notationnel ne signifie pas non-verbal49 ». Le terme symbole recouvre en effet pour lui « les lettres, les mots, les textes, les images, les diagrammes, les cartes, les modèles, et bien d’autres choses50 ».

33Or l’exécution est une forme d’actualisation du texte (de la musique aussi) qui est particulièrement prégnante dans le cas de lettres qui s’incarnent dans la voix, dans la passion du chant. Les lettres médiévales, la poésie en particulier, possèdent un système complexe de notation interne, lié à la structure métrique, parfois circulaire comme dans certaines formes fixes, au schéma rythmique et rimique, à l’empreinte sonore, bref à une partition qui peut être exécutée de différentes manières, dès lors que l’on respecte la concordance des parties, son harmonie. Que l’on pense à la définition que donne de cet art « musaïque » à la fois de l’écriture et de la performance qu’est la canzone l’un de ses plus grands interprètes médiévaux :

Preterea disserendum est utrum cantio dicatur fabricatio verborum armonizatorum, vel ipsa modulatio. Ad quod dicimus quod nunquam modulatio dicitur cantio, sed sonus, vel thonus, vel nota, vel melos. Nullus enim tibicen, vel organista, vel cytharedus melodiam suam cantionem vocat, nisi in quantum nupta est alicui cantioni ; sed armonizantes verba opera sua cantiones vocant, et etiam talia verba in cartulis absque prolatore iacentia cantiones vocamus51.

34Je soulignais dans un travail offert à Michel Zink que la chanson est :

une œuvre active – terme par lequel Dante semble désigner une action en cours, in progress, comme l’indiquerait la référence à l’incipit de l’Énéide, et l’insistance sur le présent cano –, en même temps qu’elle se donne comme une œuvre passive, qui peut être dite ou chantée par l’auteur lui-même ou par un autre interprète. […] La chanson chantée ne représente pas pour lui une variante de la chanson poétique, mais une de ses actualisations, puisque la chanson est une actio pensée et dictée en vue d’une passion : son chant52.

35Certes, Dante ne parle pas des variantes textuelles ou musicales, encore moins des erreurs qui ne pourraient que rompre l’équilibre subtil que le poète a su créer entre les mots et les notes, et délier ce que le poète à lié. Mais même si les relations poétiques et rythmiques que je viens de rappeler sembleraient l’exclure, le fait que l’actio de la chanson se réalise dans et par la passion du chant implique une forme d’exécution. Car la chanson possède sa propre partition, qui peut être exécutée de multiples fois, ou pour reprendre un mot d’origine anglo-saxonne, qui peut être « instanciée », réalisée si l’on préfère, à chaque nouvelle interprétation. Dans ce sens, le texte poétique, mais c’est encore plus vrai me semble-t-il pour la musique, contient et implique sa propre partition. Malgré les innombrables mises en garde des auteurs médiévaux contre les interventions impromptues des copistes – on pense, entre autres, à la célèbre apostrophe que Chaucer adresse à celui qu’il a sans doute considéré comme son scribe attitré : Adam Pinkhurst53 –, le poème récité ou chanté implique, comme le texte théâtral, la possibilité d’une exécution, d’une « mise en scène », qui en modifie la couleur, l’ornementation ou la valence contrapuntique sans pour autant le différencier véritablement de l’original.

36Ch. Chaillou rappelle dans sa taxinomie des variantes musicales qu’il existe des exemples nombreux de variantes sonores dans lesquelles les « mélodies sont parfois quasiment identiques, selon quelques minimes variations relevant de l’ornementation (ajout ou suppression), de la permutation (par exemple sol-fa au lieu de fa-sol)54 ».

37J’évoquais plus haut le cas de Leonard Cohen, mais combien de poètes, de musiciens, d’artistes médiévaux n’auraient pas répudié la variante choisie par le copiste, l’erreur que nous guettons pour remonter à la pureté de l’original, et l’auraient intégrée à la place de la leçon authentique, fût-elle une lectio difficilior, parce que peut-être difficillima… Je ne parle pas des variantes d’auteur et de cercle55, mais des variantes adiaphores que des auteurs, que nous connaissons parfois moins bien que les copistes, auraient pu vouloir employer, y compris parfois en fonction du contexte d’exécution d’une œuvre, d’un poème, d’une musique. Que l’on pense à la tornada, que le troubadour peut modifier en fonction du public, du destinataire, des circonstances : une naissance, un mariage, un deuil, une amour malheureuse. Que l’on pense encore à certaines variantes dans les poèmes de Charles d’Orléans, qui semblent correspondre à la restitution d’une exécution, dont il est impossible de dire si elle l’œuvre du cercle de Blois ou du prince-poète lui-même. Quelques-unes de ces variantes semblent être des erreurs, mais à bien regarder elles révèlent moins la trace d’une déviation que celle d’une translatio poétique ou si l’on préfère d’une exécution56.

Conclusion

38On l’aura compris, erreur et variante constituent dans les exemples que j’ai évoqués et dans tant d’autres textes poétiques médiévaux chantés ou exécutés les deux facettes d’une même immanence poétique. Elles se fondent sur ce que j’ai appelé, ailleurs57, en paraphrasant Flaubert, une lectio insciente58. La poésie, et plus particulièrement la poésie médiévale, est un art, en effet, de l’exécution, au même titre que la musique. Selon que l’on privilégie l’envers ou l’endroit de la variante, elle peut nous apparaître comme un incident, une erreur, une faute, une innovation, une lectio facilior, un anachronisme, ou plus simplement comme la trace de la vie des lettres et des notes, du transfert qui les vivifie presque autant que l’autorité première qui les a générées.

39Personne ne l’avait mieux compris qu’un grand poète qui l’était presque malgré lui. C’est ainsi que Paul Valéry rappelait que : « La fatigue des sens crée. Le vide crée. Les ténèbres créent. L’incident crée. Tout crée excepté celui qui signe et endosse l’œuvre »59. Le poète du Cimetière marin n’aimait pas les lettres médiévales, mais il en avait peut-être saisi l’un des secrets.

Notes

1 Les Noces de Philologie et Musicologie. Textes et musiques du Moyen Âge, éd. Christelle Cazaux-Kowalski et al., Paris, Classiques Garnier, 2017.

2 Max Scheler, Von Umsturz der Werte, der Abhandlungen und Aufsätze, 2 vol., Leipzig, der Neue-Geist Verlag, 1919, vol. 1, p. 22, cité dans Michel Zink, L’Humiliation, le Moyen Âge et nous, Paris, Albin Michel, 2017, p. 25.

3 Les Noces de Philologie et Musicologie.

4 Voir par exemple Marie-Noël Colette, « La notation musicale en Champagne dans le Haut Moyen Âge », La Vie en Champagne, 36, 2003, p. 58-62.

5 Thomas d’Aquin, Summa Theologica, lib. I, qu. 1, art 9.

6 Voir Antoine Compagnon, « Quelques remarques sur la méthode des passages parallèles », Studi di letteratura francese, 22, 1977, p. 15-25, repris dans Id., Le Démon de la théorie, Paris, Éditions du Seuil, 1993, p. 71-82.

7 Christelle Chaillou-Amadieu, « Philologie et musicologie. Les variantes musicales dans les chansons de troubadours », Les Noces de Philologie et Musicologie, p. 51-69, ici p. 54.

8 Voir par ex. Franca Brambilla Ageno, « Gli errori auditivi nella trasmissione dei testi letterari », Italia medioevale e umanistica, 29, 1986, p. 80-105.

9 Christelle Chaillou-Amadieu et Fabio Zinelli, « Entretien avec Michel Zink », Les Noces de Philologie et Musicologie, p. 13-36, ici p. 33.

10 Cf. Questes, 29, février 2015 [Copie, Originalité, authenticité, éd. Jean-Baptiste Camps, Magai Cheynet et Vincent Le Quentrec]. L’étude la plus systématique sur la question de l’erreur et de la variante reste celle de Cesare Segre, « Critique textuelle, théorie des ensembles et diasystème », Bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique, 62, 1976, p. 279-292.

11 Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, trad. Claude Maillard, Paris, Gallimard, 1990 [1ère éd. 1978], p. 48.

12 Il s’agit du « sixième théorème » exposé dans Daniel Poirion, « Écriture et ré-écriture au Moyen Âge », Littérature, 41, février 1981, p. 109-118, ici p. 113.

13 Gianfranco Folena, « Geografia linguistica e testi medievali », Atti del convegno internazionale sul tema : Gli atlanti linguistici : problemi e risultati (Roma, 20-24 ottobre 1967), Roma, Accademia Nazionale dei Lincei, 1969, p. 197-222, ici p. 205-206. Voir aussi l’article stimulant de Cinzia Pignatelli, « Y a-t-il une vie pour les variantes après l’édition critique ? Une recherche en cours sur les mss. du Chevalier de la Charrette », Littérature et linguistique : diachronie / synchronie. Autour des travaux de Michèle Perret. Actes du colloque de Chambéry (14-16 novembre 2002), éd. Dominique Lagorgette et Marielle Lignereux, Chambéry, Université de Savoie, 2007 [CD-Rom], p. 439-452.

14 Voir à ce propos les pages qu’A. Compagnon a consacrées à cette question dans son Démon de la théorie (cit. plus haut, n. 6), p. 58-70. Une restitution parfaite de l’original supposerait, d’une part, une édition de préférence manuscrite, sans introduction, apparat, notes, glossaire et index, car la plupart des textes médiévaux en étaient évidemment dépourvus, d’autre part, la recréation d’un contexte de réception identique à celui qu’aurait connu l’œuvre au moment de sa première circulation. Mais la restauration diplomatique de l’original ne pourrait être accessible qu’à quelques médiévistes, que l’on priverait par ailleurs des échafaudages philologiques qui permettent de vérifier et critiquer le protocole de travail de l’éditeur ; quant à la restitution uchronique des horizons d’attente et de réception, J. L. Borges a montré dans son Pierre Menard, auteur du Quichotte combien elle était une utopie herméneutique. Même la plus neutre des éditions critiques relève du transfert culturel et est soumise à l’anachronisme interprétatif. Sur la question de la réception de l’œuvre médiévale, voir Alain Corbellari, Le Philologue et son double. Études de réception médiévale, Paris, Classiques Garnier, 2015.

15 Friedrich Schleiermacher, Herméneutique, trad. Marianna Simon, avant-propos de Jean Starobinski, Genève, Labor et fides, 1987, p. 127 et suiv.

16 Claudio Galderisi, « Bienvenue au Moyen Âge ou des enjeux d’une nouvelle translatio studii », Cahiers de Civilisation médiévale, 232, 2015, p. 407-425, ici p. 411.

17 Roland Barthes, « Les deux critiques », Essais critiques, Paris, Éditions du Seuil, 1964, p. 246.

18 Sur cette question, voir en dernier lieu Gabriele Giannini, « Interprétation, restitution et réécriture du texte médiéval », Fabula-LhT, 5, nov. 2008 [Poétique de la philologie]. G. Giannini relève fort justement que « l’édition de 1925-29 [Salverda de Grave] est en effet devenue la vulgata sur laquelle les études littéraires concernant l’Eneas ou les romans d’antiquité, avec très peu d’exceptions, se fondent, comme s’il s’agissait de l’autographe livré par l’auteur ».

19 Je pense, entre autres, à l’ouvrage de Jean-Charles Huchet, Le Roman médiéval, Paris, Presses Universitaires de France, 1984.

20  Eneas, éd. Jean-Jacques Salverda de Grave, Halle a. S., Niemeyer, 1891.

21 Eneas. Roman du xiie siècle, éd. Jean-Jacques Salverda de Grave, 2 vol., Paris, Champion, 1925-1929.

22 Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole, éd. Félix Lecoy, trad. Jean Dufournet, Paris, Champion, 2008, p. 465.

23 Michel Dubois, « Ancien français taleboté », Romania, 85, 1964, p. 112-116.

24 Sur l’usage, l’étymologie et le sens du mot taleboté, je renvoie à la note lexicale très documentée que Jean-Jacques Vincensini donne dans son édition et traduction de l’Escoufle à paraître prochainement aux Classiques Garnier.

25 Nous aurions tort, me semble-t-il, d’exclure la possibilité que dans certains cas, certes rares, la lectio difficilior puisse être le résultat d’une herméneutique, et donc d’une réécriture, de la surenchère, d’une esthétique du clus visant à enrichir une expressivité du leu présente dans la lectio facilior originale. Pour une lecture différente de la lectio difficilior, voir Richard Trachsler, « Lectio difficilior. Quelques observations sur la critique textuelle après la New Philology », Éthique de la philologie – Ethik der Philologie, éd. Ursula Bähler, Berlin, Berliner Wissenschaftsverlag, 2006, p. 155-171, partiellement repris dans Id., « Un siècle de lettreüre. Observations sur les études de littérature française du Moyen Âge entre 1900 et 2000 », Cahiers de Civilisation médiévale, 192, 2005, p. 359-379.

26 Ernst Cadman Colwell, Studies in Methodology in Textual Criticism of the New Testament, Leiden, Brill, 1969, p. 113, cité par Michelangelo Zaccarello, Alcune questioni di metodo nella critica dei testi volgari, Verona, Fiorini, 2012, p. 118.

27 Le patron des traducteurs aurait confondu qaran (קָרַן) ‘rayonnant’ et ‘qèrèn (קֶרֶן) ‘cornu’. Mais pour une partie des commentateurs médiévaux et des spécialistes modernes, l’erreur du père de l’Église serait volontaire, ou plutôt il aurait ainsi explicité l’ambiguïté sémantique et phonétique du texte hébreu. Lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, Thomas Römer a défendu l’intérêt de la variante introduite par saint Jérôme, en rappelant que le verbe qaran peut désigner pour un auditeur hébreu aussi bien le fait de « rayonner » que d’être cornu (Thomas Römer, Les Cornes de Moïse. Faire entrer la Bible dans l’histoire, Paris, Collège de France-Fayard, 2009 [« Leçons inaugurales du Collège de France », n° 206])

28  Il arrive que les erreurs de traduction soient plus difficiles à corriger, plus stables pour ainsi dire, que les variantes légitimes, en particulier dans des textes qui ont une dimension sonore collective (chants, prières, etc.) et qui relèvent aussi d’une tradition orale. Que l’on pense à la traduction postconciliaire du Nôtre Père, dite aussi « œcuménique », où la formule latine de la sixième demande « ne non inducas in tentationem » était traduite par « ne nous soumets pas à la tentation ». Or la plupart de théologiens considèrent une telle demande comme un blasphème, le pécheur ne pouvant pas imputer à son Dieu des intentions diaboliques et ses propres tentations. Et pourtant il aura fallu attendre 2017 pour que l’Église française entérine la nouvelle formulation : « Et ne nous laisse pas entrer en tentation », qui avait été validée par le Vatican dès 2013.

29 Je remercie Katarina Livljanic de m’avoir suggéré ce rapprochement.

30 Cf. Jerome McGann, The Textual Condition, Princeton, Princeton University Press, 1991.

31 Jean Cohen, Structure du langage poétique, Paris, Flammarion, 1966.

32 Chaillou-Amadieu, « Philologie et musicologie », p. 54-55. 

33 La partie qui suit a été reprise et développée dans un article paru sous le titre « Le per, la tourtrele, et la varia lectio de la Vie de Saint Alexis. L’erreur féconde des copistes… et des philologues », dans Tra chiaro e oscuro. Studi offerti a Francesco Zambon, éd. Daniela Mariani, Sergio Scartozzi et Pietro Taravacci, Trento, Università degli Studi di Trento, 2019, p. 149-162.

34 La Vie de saint Alexis, poème du xie siècle et renouvellements des xiie, xiiie et xive siècles, éd. Gaston Paris et Léopold Pannier, Paris, Franck, 1872 [« Bibliothèque de l’École des hautes études. Sciences historiques et philologiques », n° 7].

35 Ibid., p. 146, strophe 31, v. d-e.

36 Adolf Tobler, « Compte rendu de l’édition du Saint Alexis par Gaston Paris », Göttingen gelehrte Anzeigen, 5, Juin 1872, p. 881-903.

37 La Vie de saint Alexis, poème du xie siècle. éd. Gaston Paris, Paris, Bouillon, 1903 [rééd. Paris, Champion, 1980], p. 6, v. 155.

38 Gianfranco Contini, « Scavi alessiani », Linguistica e filologia. Omaggio a Benvenuto Terracini, éd. Cesare Segre, Milano, Il Saggiatore, 1968, p. 59-95, ici p. 64 (repris dans Id., Breviario di ecdotica, Milano-Napoli, Ricciardi, 1986, p. 99-134, ici p. 104), et Id., « La “Vita” francese “di Sant’Alessio” e l’arte di pubblicare i testi antichi », Ibid., p. 67-97).

39 Le ms. Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. lat. 5334, fol. 125 (A) débute au v. 425 et va jusqu’au v. 625 (avec omission des v. 450, 452 et 603). Cf. Pio Rajna, « Un nuovo testo parziale del Saint Alexis primitivo », Archivum romanicum, 13, 1929, p. 1-86.

40 Contini, « Scavi alessiani », p. 100-101.

41 Fabrizio Beggiato « ‘Tu por ton per’, Vie de Saint Alexis, v. 155. Sulla congettura in regime di diffrazione », La Filologia romanza e i codici. Atti del convegno di Messina (Università degli Studi, Facoltà di Lettere e filosofia, 19-22 dicembre 1992), éd. Saverio Guida et Fortunata Latella, Messina, Sicania, 1993, p. 153-62.

42 Dans les mêmes années où Contini élaborait sa théorie de la diffraction, qui fait de l’erreur à la fois une forme de destruction et de recréation, un des principaux interprètes de l’art minimal illustrait le rôle structurant de l’erreur dans le processus créatif. L’œuvre en question, un tiroir de fichier métallique monté sur planche de bois fixée au mur et contenant 48 fiches cartonnées et indexées, s’intitule Card File (1962) ; Robert Morris, qui en fait une mise en abyme plastique et autoréférentielle de l’écriture narrative, déstructure l’œuvre en la recomposant à travers les quarante-huit fiches qui décrivent les phases de son élaboration. Or l’une de ces fiches énumère les fautes d’orthographe, les coquilles, les manques, dans les autres fiches ou dans la fabrication de l’œuvre. L’erreur devient ainsi à la fois un élément de la diégèse et un facteur dynamique de l’œuvre achevée.

43 Voir à ce propos Lino Leonardi, « Il testo come ipotesi (critica del manoscritto di base) », Medioevo romanzo, 35, 2011, p. 5-34.

44 Nelson Goodman, Langages de l’art, une approche de la théorie des symboles, trad. Jacques Morizot, Paris, Éditions Jacqueline Chambon, 1980 [rééd. dans la collection « Pluriel Hachette Littératures » ; éd. originale : Languages of Art : An Approach to a Theory of Symbols, Indianapolis, The Bobbs-Merrill Company, 1968].

45 La conception purement intrinsèque de la notation a été rejetée notamment par John Dilworth, « A Refutation of Goodman’s Type-Token Theory of Notation », Dialectica, 57, 2003, p. 330-336.

46 Goodman, Langages de l’art, p. 147.

47 Ce qui semble ne pas être tout à fait vrai pour d’autres classes d’images. Je pense au cinéma, et plus particulièrement aux « versions originales » des films qui contiennent une série d’indications permettant l’exécution plus ou moins libre des versions nationales et la postsynchronisation (je me permets de renvoyer à mon article, « Traduisibilité et v.o. Pour une poétique du doublage », Hesperis, 3, 1999, p. 61-76). Sur un autre plan, les armoiries possèdent à travers le blason un système complexe de codes et d’indications qui peut être rapproché de la partition et qui s’apparente de ce que les sémiologues appellent une « stimulation programmée » (voir Umberto Eco, La Production des signes, trad. Myriem Bouzaher, Paris, Le Livre de Poche, 1992, p. 120).

48 Goodman, Langages de l’art, p. 179 et suiv.

49 Ibid., p. 224. Pour le philosophe, la description du tempo en musique (andante, presto, allegro, etc.) est notationnelle parce qu’elle s’exprime par des mots, comme les didascalies théâtrales.

50 Ibid., p. 27.

51 Dante Alighieri, De vulgari eloquentia, éd. Pier Vincenzo Mengaldo, dans Opere minori di Dante, t. 2, éd. Pier Vincenzo Mengaldo et al., Milano-Napoli, Ricciardi, 1979, p. 3-237, livre II, § 8.

52 Claudio Galderisi, « Cianson pouvés aler pour tout le monde. Le chant du poète entre diffraction linguistique et empreinte mémorielle », « Chanson pouvez aller pour tout le monde ». Réflexions sur la mémoire et l’oubli dans le chant médiéval en hommage à Michel Zink, éd. Claudio Galderisi et Anna Maria Babbi, Orléans, Paradigme, 2001, p. 43-66, ici p. 45.

53 « Adam scriveyn, if ever it thee bifalle, / Boece or Troylus for to wryten newe, / Under thy long lokkes thou most have the scalle, / But after my makyng thow wryte more trewe ; / So ofte adaye I mot thy werk renewe, / It to correcte and eke to rubbe and scrape, / And al is thorugh thy negligence and rape. » (« Wordes unto Adam, His Owne Scriveyn », v. 1-7, The Riverside Chaucer, éd. Larry D. Benson, Oxford, Oxford University Press, 1987). Depuis que la critique s’est intéressée davantage à la biographie d’Adam Pinkhurst et qu’elle a mis en lumière les relations avec le traducteur de la Consolatio Philosophiae dont parle le poème, la paternité chaucerienne du poème semble remise en cause, ce qui n’enlève rien à la réflexion sur la relation biunivoque auteur-copiste-texte que ces vers mettent à nu (voir en dernier lieu Glending Olson, « Author, Scribe, and Curse : The Genre of Adam Scriveyn », The Chaucer Review, 42, 2008, p. 284-297).

54 Chaillou-Amadieu, « Philologie et musicologie », p. 54.

55 Dante Isella, Le Carte mescolate : esperienze di filologia d’autore, Padova, Liviana, 1987

56  Dans le ms. Paris, BnF, fr. 25458 Charles d’Orléans semble avoir laissé dans un premier temps – la question est en effet controversée – l’espace pour la notation musicale des rondeaux, avant d’utiliser ces blancs pour y copier d’autres rondeaux. Lorsqu’on parle donc d’exécution de ses poèmes, il ne faut pas exclure la dimension musicale et ce qu’elle peut impliquer en termes de variantes.

57 Claudio Galderisi, « Lectio philologica, lectio poetica et lectio pigra. Variantes poétiques et philologie d’auteur dans trois poèmes de Charles d’Orléans », Le Moyen Français, 64, 2009, p. 85-110, ici p. 110.

58 Flaubert parle de « poétique insciente » (« Lettre à George Sand », 2 février 1869, dans Gustave Flaubert, Correspondance, éd. Jean Bruneau, IV : Janvier 1869-decembre 1875, Paris, Gallimard, 1998 [« Bibliothèque de la Pléiade », n° 443], p. 15).

59 Paul Valéry, Tel Quel, dans Œuvres complètes, éd. Jean Hytier, 2 vol., Paris, Gallimard, 1968-1970, t. II [« Bibliothèque de la Pléiade », n° 148], p. 674.

Pour citer ce document

Par Claudio Galderisi, «De la philologie comme forme d’exécution des œuvres médiévales. Le bruit des innovations et les variantes des interprètes», Textus & Musica [En ligne], 1 | 2020 - "Qui dit tradition dit faute ?" La faute dans les corpus chantés du Moyen Âge et de la Renaissance, Les numéros, mis à jour le : 14/12/2022, URL : https://textus-et-musica.edel.univ-poitiers.fr:443/textus-et-musica/index.php?id=131.

Quelques mots à propos de :  Claudio Galderisi

CESCM – Université de Poitiers – CNRS

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