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Reflets du contrafactum dans le discours poétique et rhétorique ibéro-roman : circulation et réception d’une pratique
Par Florence Mouchet
Publication en ligne le 11 mai 2023
Résumé
The contrafactum, which consists in developing a new poetic-musical ensemble starting from a pre-existing melodic source, is a common process in the Middle Ages, particularly in the context of “European” monodic lyrics. In these sung corpus, it is not uncommon to find an allusion to a “desviat sound”, suggesting a melodic reuse. Some mentions are explicit, such in the manuscript R (Paris, BnF, Fr. 22543), where the relationship between the melody of an enueg by the monk of Montaudon and a sirventes by Bertran de Born is specified by the reference to “el so de la rassa”. But it is mainly in poetic treatises that this possibility to take up an “old sound”, instead of a new melodic composition, is best and most frequently expressed. Thus, in some Occitan theoretical texts from the 13th and 14th centuries (in particular the Doctrina de compondre dictats and the Leys d'amors), this process is mentioned, applicable to specific genres, such as sirventes, tenso or verse. This process is of course not specific to the Occitan sphere. We find traces of it in the trouvère corpus, for similar genres (serventois, debat and jeu-parti), but also in the Galician-Portuguese or German corpus. The question arises of the theoretical framework in which musicians evolved. Does the rhetorical and poetic discourse, in these spaces often considered as having undergone the “influence” of Occitan lyricism, integrate this notion of contrafactum? Or is the description of this process mostly passed over in silence? This seems to be the case in poetic arts, outside Occitan sphere, where references to the contrafactum are rare, even though the preserved corpus testifies to its permanence. How then should we understand this disjunction between theory and practice? Between rhetorical absence and reality of the preserved corpus? Has the contrafactum become a standard practice? The comparative study of Ibero-roman poetic treatises will help to better understand the evolution of this practice and its perception by contemporary theorists.
Le contrafactum, qui consiste à élaborer un nouvel ensemble poético-musical partant d’une source mélodique préexistante, est un procédé commun au Moyen Âge, notamment dans le cadre des lyriques monodiques « européennes ». Dans ces corpus chantés, il n’est pas rare de trouver une allusion à un « son desviat » suggérant une reprise mélodique. Certaines mentions sont explicites, ainsi celle du manuscrit R (Paris, BnF, Fr. 22543), où la relation entre la mélodie d’un enueg du moine de Montaudon et un sirventes de Bertran de Born est spécifiée par l’indication « el so de la rassa ». Mais c’est surtout dans les traités de poétique que s’exprime le mieux et le plus fréquemment cette possibilité donnée aux poètes-musiciens de reprendre un « son ancien », en lieu et place d’une nouvelle composition mélodique. Ainsi, dans un certain nombre de textes théoriques occitans des xiiie et xive siècles (notamment la Doctrina de compondre dictats et les Leys d’amors), mention est faite de ce procédé, applicable à des genres spécifiques, tels le sirventes, la tenso ou le vers. Ce procédé n’est bien sûr pas spécifique à la sphère occitane. On en trouve notamment trace dans le corpus des trouvères, pour des genres semblables (serventois, débat et jeu-parti), mais aussi dans les répertoires gallego-portugais ou allemand. Se pose alors la question du cadre théorique dans lequel évoluaient les musiciens. Le discours rhétorique et poétique, dans ces espaces souvent considérés comme ayant subi « l’influence » de la lyrique occitane, intègre-t-il le principe même du contrafactum ? S’en fait-il le relais ? Ou bien la description de ce procédé est-elle majoritairement passée sous silence ? Car c’est bien là ce qui semble être le cas dans les arts poétiques, hors de la sphère occitane, où les références au contrafactum se font rares, alors même que le corpus conservé témoigne de sa permanence. Comment faut-il alors comprendre cette disjonction entre théorie et pratique ? Entre l’aporie rhétorique et la réalité du corpus noté conservé ? Ne faut-il pas voir ici une forme d’assimilation du processus de réemploi qui n’aurait plus besoin d’être évoqué, car devenu une pratique normalisée ? L’étude comparée des traités de poétique ibéro-romans, qui gardent la trace de la contrafacture, permettra ainsi de mieux mesurer l’évolution de cette pratique et la perception qu’en avaient les théoriciens contemporains.
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Reflets du contrafactum dans le discours poétique et rhétorique ibéro-roman : circulation et réception d’une pratique (version PDF) (application/pdf – 1,9M)
Texte intégral
1Réutiliser, reprendre, réemployer un matériau préexistant est une des données fondamentales de la création médiévale. Non seulement dans le domaine musical, mais dans l’ensemble des champs du savoir et de l’art. Pour la musique cependant, cette pratique semble avoir irrigué la quasi-totalité des répertoires, qu’il s’agisse de monodie liturgique ou profane, ou de polyphonie. Et ce sous des formes diversifiées, allant de la reprise de cellules mélodiques réagencées pour composer une nouvelle pièce (selon le principe de la centonisation) jusqu’à la réitération d’une pièce complète (mélodie-type ou contrafactum), en passant par différents procédés citationnels.
2Si ces procédés sont bien connus dans les corpus médiévaux, ils ne sont cependant pas toujours explicitement mentionnés dans les traités musicaux, ni chez les auteurs du haut Moyen Âge, dont le discours porte davantage sur une philosophie de la musique que sur ses modalités pratiques (comme dans le De Institutione Musica de Boèce), ni chez ceux des périodes suivantes, qui visent pourtant à définir des règles et à donner des outils pour la pratique musicale (comme chez Guy d’Arezzo, Jean de Grouchy ou les théoriciens de l’Ars Nova). Même si la première mention d’un contrafactum apparaît ainsi dans un manuscrit du xve siècle, elle semble porter sur le texte et non sur la musique. C’est le discours de « seconde main » qui, à partir du xxe siècle, a permis de mettre en visibilité ces procédés, en les nommant. Pour la lyrique profane, l’ouvrage de Friedrich Gennrich Die Kontrafaktur im Liedschaffen des Mittelalters sera fondateur, par la mise en relation les pièces mélodiques issues des lyriques profanes sur la base de leur schéma métrico-rimique1. John H. Marshall, Robert Falck et bien d’autres consacreront ensuite une partie de leurs travaux à montrer la place que tenait la contrafacture dans la lyrique des troubadours et des trouvères, par une analyse métrico-rimique des pièces conservées, et par la recherche d’indices de ces réemplois dans le texte des chansons, en mobilisant une approche intertextuelle2. Ce travail comparatif est aujourd’hui facilité par des bases de données en ligne, qui ne rendent cependant visibles qu’une faible partie de ces réemplois3.
3En définitive, c’est davantage dans les traités médiévaux de grammaire et de poétique que cet usage est parfois mentionné. Ce sera ainsi le cas dans plusieurs traités apparentés géographiquement et linguistiquement, issus des sphères occitanes, catalanes ou italiennes. Ces traités incluent une première typologie des genres poétiques développés par les troubadours, en mentionnant la possibilité, voire l’obligation, d’un réemploi mélodique pour certains d’entre eux.
4Ces traités sont donc liés à une matière poético-musicale contemporaine et à une lyrique qui s’étendait bien au-delà des frontières de « l’Occitanie » médiévale, irriguant notamment les espaces poétiques les plus proches (Espagne, Portugal, Italie, Sicile), zones de repli pour les « faidits » qu’étaient devenus certains troubadours.
5Quant à la lyrique monodique du domaine français, sa porosité aux caractéristiques formelles, structurelles et thématiques des chants de troubadours est avérée (même si ces interactions ont dû s’exercer dans les deux directions) et fut accentuée par les nombreuses occasions de mise en relation des œuvres et des hommes. Cependant, les traités de poétique issus du domaine français (qu’ils soient rédigés en langue d’oïl ou en latin) ne mentionnent plus la possibilité de reprise mélodique évoquée précédemment pour le domaine occitan. Cette absence interroge, car dans les faits (dans les pièces des trouvères notamment), la permanence du contrafactum est bien réelle. Elle est même rendue particulièrement visible par le nombre plus important de pièces conservées. Comment comprendre alors cette invisibilité d’un mode d’élaboration pourtant largement présent et utilisé par tous ? S’agissait-il déjà pour les poètes-musiciens du xiiie siècle d’un principe si usuel qu’il n’était nul besoin de le mentionner ? Ou est-ce déjà un indice précoce de l’autonomie croissante du texte envers la musique qui, même si elle ne sera théorisée qu’à la fin du siècle suivant avec Eustache Deschamps, apparaîtrait déjà en filigrane dans ces textes ? C’est une hypothèse qui demande à être confirmée. Toujours est-il que nous observons déjà une nette distinction entre les sources issues de la sphère ibéro-romane, qui évoquent majoritairement ce procédé, et les sources septentrionales, qui semblent l’éluder. Cependant, dans les sources méridionales elles-mêmes, des divergences sont visibles et témoignent d’une appropriation distincte d’un procédé compositionnel inégalement accepté et reconnu.
I. Les premières sources théoriques : entre grammaire et poétique
1. Las razos de trobar de Raimon Vidal de Besalú : l’affirmation du chant
6La première grammaire conservée en langue d’oc est celle de Raimon Vidal de Besalú : Las razos de trobar, dont John H. Marshall, qui l’a éditée, fixe la rédaction entre 1190 et 1213. Il faut souligner que son auteur est catalan et s’adresse donc à un public (certainement la noblesse des cours catalanes) se situant au-delà de la frontière pyrénéenne, afin de lui apprendre l’art du trobar, associant poétique et musique et l’apprentissage de la langue des troubadours. Ce texte connut de nombreuses reprises et adaptations, notamment la Doctrina d’acort, version versifiée de Terramagnino de Pise ou les Regles de trobar, version en prose de Jofre de Foixa, les Donatz proensals de Uc Faidit. Il ne mentionne cependant que peu la musique et ne dit rien d’une éventuelle reprise mélodique pour les genres lyriques. Seule, une forme d’universalité du trobar est affirmée dans l’ensemble de ces textes, et notamment dans l’introduction du traité de Raimon Vidal :
Totas genz cristianas, iusieuas et sarazinas, emperador, princeps, rei, duc, conte, vesconte, contor, valvasor, clergue, borgues, vilans, paucs et granz, meton totz iorns lor entendiment en trobar et en chantar, o q’en volon trobar o q’en volon entendre o q’en volon dire o q’en volon auzir ; qe greu seres en loc negun tan privat ni tant sol, pos gens i a paucas o moutas, qe ades non auias cantar un o autre o tot ensems, qe neis li pastor de la montagna lo maior sollatz qe illa iant an de chantar. Et tuit li mal e.l ben del mont son mes en remembransa per trobadors. Et ia non trobares mot [ben] ni mal dig, po[s] trobaires l’a mes en rima, qe tot iorns [non sia] en remembranza, qar trobars et chantars son movemenz de totas galliardias4.
7L’insistance portée sur la mémorisation des chansons de troubadours, que ce soit pour le texte ou pour la musique, est à souligner. Car se souvenir, c’est aussi se donner la possibilité de recomposer une nouvelle pièce, en prenant appui sur une mélodie préalablement mémorisée, selon le principe même de la contrefaçon.
2. La Doctrina de compondre dictats : typologie générique et réemploi mélodique
8L’auteur anonyme d’un autre traité en prose, la Doctrina de compondre dictats, qui peut être daté de la seconde moitié du xiiie siècle, se réfère plus précisément à notre sujet5. Ce texte d’origine catalane se situe lui aussi dans la lignée des Razos de trobar de Raimon Vidal et propose une typologie des genres poétiques, mentionnant systématiquement le type de mélodie attendue pour chacun d’entre eux6. C’est évidemment un témoignage précieux, indiquant que l’auteur était parfaitement conscient de la double nature de la chanson, à la fois poétique et musicale, et des modalités d’ajustement de ces deux parties7.
9Le tableau 1 présente les différentes mentions faites à la mélodie, indiquant par genre si cette dernière doit être nouvelle [1], reprise [2] ou si le choix est laissé librement à l’auteur [3]8.
Tableau 1 : Réemploi mélodique ou son nouveau dans la Doctrina de compondre dictats.
10Quels enseignements tirer de ces indications ? Tout d’abord, faire le constat qu’en l’absence de tout texte théorique antérieur aussi détaillé sur la contrafacture, l’auteur de la Doctrina a dû prendre uniquement appui, pour définir le choix mélodique, sur le corpus poético-musical existant – autrement dit sur les chansons de troubadours et les autres lyriques profanes qui lui étaient connues. À moins qu’un traité antérieur n’ait existé, disparu depuis. Si nous confrontons les propos de l’auteur à l’analyse du corpus des troubadours, nous constatons ainsi, globalement, une correspondance : la canso est très majoritairement fondée sur une mélodie nouvelle, alors que le sirventes et la tenso reposent fréquemment sur un « son » préexistant, bien que de façon non systématique. La coïncidence est loin d’être constante pour tous les genres. Ainsi, le « son nouveau » requis pour la chanson d’aube n’est-il pas toujours de mise dans les albas occitanes notées et conservées9.
11Autre constat : il s’agit ici d’une tentative précoce de définition générique, dans le cadre d’un corpus fortement marqué par son hétérogénéité et faisant apparaître des genres pour lesquels nous n’avons parfois conservé aucune trace musicale, comme la gelozesca ou la gayta, signe précieux d’une pluralité et d’une diversité générique aujourd’hui disparue.
12Par ailleurs, le déséquilibre entre les préconisations de reprises ou de compositions nouvelles est flagrant. Les mentions d’un réemploi sont ainsi nettement inférieures à celles d’un « son nouveau » : seuls le sirventes, la pastourelle, la gelozesca, la tenso et les coblas esparsas sont concernés. Et pour aucune de ces pièces, cette possibilité n’est unique : systématiquement, le choix d’opter pour un nouveau son (ou non) reste ouvert, la mention la plus large allant au sirventes, pour lequel on peut choisir « n’importe quelle mélodie, mais rarement une nouvelle et plutôt sur une mélodie de canso ». L’ambiguïté de ce « specialment » est levée dans les lignes suivantes : il est ainsi indiqué qu’on « parle de sirventes parce qu’il se sert, en y étant soumis, du chant dont il reprend mélodie et rimes ». Explication tout à fait nouvelle des raisons de la contrafacture et qui restera un hapax dans le discours théorique. Pour les autres genres, l’auteur préconise un son nouveau, parfois assorti de la mention « tota vegada » (toutes les fois) pour en souligner clairement la nécessité.
13La question de la manière dont cette répartition s’est opérée se pose d’emblée : nous pourrions en effet penser que les genres considérés comme aristocratisants seraient associés à une mélodie nouvelle. Or, l’exemple du sirventes montre qu’il n’en est rien. À l’inverse, pour des genres considérés comme popularisants (l’alba ou l’estampie, par exemple), c’est bien une nouvelle mélodie qui est requise. C’est donc plutôt la razo de ces différents genres qui orientera le choix musical. L’ironie et la contestation semblent autoriser, voire imposer, la contrafacture, ainsi dans le sirventes, les coblas esparsas ou la tenso. Quant à la pastourelle, son sujet même est irrévérencieux, justifiant la contrefaçon.
3. [Arte de Trovar] ou comment composer des cantigas de seguir
14En lien avec cette tradition, un court traité anonyme, l’[Arte de Trovar], rédigé en galégo-portugais, conserve également la mémoire d’une pratique de réemploi mélodique10. Conservé dans le chansonnier commandité par l’humaniste Colucci-Brancuti, il a pu être réalisé au milieu du xive siècle, voire au-delà11. Malheureusement, il est lacunaire (il comporte quatre chapitres divisés en sous-chapitres, trois d’entre eux étant manquants au chapitre I) et nous ignorons tout de sa provenance, même si Giuseppe Tavani, qui l’a édité en 1999, fait l’hypothèse qu’il aurait pu être copié à la cour du comte Pedro de Portugal (1287-1354), comte de Barcelos et fils de Don Dinis du Portugal.
15Dans la première partie, les sous-chapitres iv à ix mettent en lumière la typologie des pièces lyriques portugaises, fondée comme précédemment sur une différenciation thématique. L’auteur y distingue les cantigas de amor ou de amigo, d’escarneo, de maldizer, les tençoes, dont certaines peuvent trouver leur équivalent dans la lyrique troubadouresque, mais sans référence spécifique à une indication de réemploi ou de nouvelle mélodie. En revanche, le neuvième sous-chapitre concerne la contrefaçon :
Tableau 2 : Giuseppe Tavani, Arte de Trobar do “Cancioneiro da Biblioteca Nacional de Lisboa” : Introdução, Edição Crítica e Fac-Símile, Lisboa, Colibri, 1999, p. 44-45. Source : Lisboa, Biblioteca Nacional, Cancioneiro da Colocci-Brancuti, 10991 (B), I, 9, fol. 4v.
16Ce passage mentionnant explicitement le processus de réemploi mélodique est le plus complet en la matière. Il distingue en effet trois manières de « suivre » un modèle mélodique : une première, correspondant à une sorte de « degré zéro » de l’imitation, dans la mesure où il s’agit simplement de reprendre un cadre métrique préexistant et de placer de nouvelles paroles sur la mélodie initiale ; la seconde consistant à réemployer également les rimes du modèle ; quant à la dernière, qui a la préférence de l’auteur, elle demande plus de « savoir-faire », et consiste à reprendre les paroles d’un refrain, mais en leur donnant un « autre sens », qui s’accordera aux nouvelles paroles des couplets12.
17Ce qui importe ici est la mise en œuvre d’un double niveau de réemploi : mélodique, bien sûr, mais aussi intertextuel, augmentant ainsi la « valeur » de la pièce contrefaite. C’est là un constat visible dans l’ensemble de cette lyrique monodique, mais c’est la première fois – et l’unique – où cette corrélation recherchée entre texte et musique est ainsi explicitée dans la littérature théorique. Ces trois modalités de réemploi corroborent en définitive l’analyse des contrafacta conservés dans la lyrique occitane : les rimes de la pièce hôte sont parfois reprises, parfois non, et des mécanismes intertextuels sous-tendent fréquemment le réemploi (reprises de certains termes, de mots-rimes, voire de membres de phrases). Quant à la mention d’un refrain – élément quasi-inconnu dans la lyrique occitane –, elle témoigne d’une adaptation du procédé à un corpus local dans lequel le refrain avait toute sa place, ou peut-être, comme le suggère Manuel Pedro Ferreira, de l’influence des procédés arabes de contrefaçon poétique, auxquels la classification en trois parties du seguir semble renvoyer13. Ce dernier insiste en effet sur la pratique courante de l’imitation dans le muwaxxaha (ou muswashshah), fondé sur l’appropriation d’une mélodie préexistante, avec reprise totale ou partielle du mètre poétique et des rimes14. Cependant, il convient de souligner que le terme même de « cantiga de seguir » est anachronique et concerne la critique moderne15. Si la pratique du « seguir » – autrement dit la méthode compositionnelle – était reconnue et largement suivie, elle ne peut renvoyer à un genre en soi, qui n’apparaît pas en tant que tel dans les textes et traités médiévaux.
II. Las Leys d’Amors : des pratiques de réemploi mélodique dans la continuité des traités antérieurs ?
18Il faut attendre le milieu du xive siècle pour qu’un nouveau traité occitan mentionnant la possibilité d’un réemploi voie le jour. Il s’agit des Leys d’Amors de Guilhem Molinier, publiées en 1356 à Toulouse16. Cet ouvrage était une œuvre de commande, issue du Consistoire de la Gaie Science (ou Gay Consistori), fondé en 1323 et calqué sur les « puys » français, afin de remettre à l’honneur la poésie des troubadours. Plusieurs rédactions vont se succéder pour rédiger ces règles grammaticales et poétiques, en vers ou en prose, ayant en commun la référence directe aux troubadours, dont les citations émaillent le texte, mais aussi à des autorités anciennes comme Cicéron, Aristote ou Sénèque17. En revanche, les auteurs des premières grammaires occitanes ne sont pas cités, introduisant le doute sur la connaissance qu’en avait Guilhem Molinier.
19Ce dernier indique avoir fait œuvre non seulement de compilateur mais surtout avoir érigé en système des lois qui n’avaient jamais été formalisées par les troubadours eux-mêmes : « Quar ayssi poyra hom trobar motz essenhamens. e motas doctrinas. las quals degus dels anticz trobadors non han pauzadas. jaciayso que sian necessarias ad trobar »18. Ce sont donc les œuvres elles-mêmes qui sont le point de départ de l’auteur. Dès le prologue est ainsi réaffirmé un élément essentiel pour notre sujet : « Trobars es far noel dictat. En romans fi : be compassat »19.
20Faire une composition nouvelle ? Pour le texte, certainement, mais comme le montrera l’auteur un peu plus loin, pas nécessairement pour la musique, ce qui semble contredire d’emblée le propos liminaire. Le livre II des Leys d’amors détaille chaque genre lyrique, à l’instar de la Doctrina de compondre dictats. Le tableau 3 en annexe répertorie les mentions faites à une indication de nouvelle mélodie ou de réemploi musical, dans les deux versions (en prose et versifiée) du premier manuscrit de Toulouse, conservé aux Jeux Floraux.
21Il est bien sûr nécessaire de confronter ces indications à celles de la Doctrina de compondre dictats, similaire formellement, afin d’en faire apparaître les points de convergence et de divergence. Le tableau 4 permet de comparer directement ces deux textes, en se limitant aux seules mentions concernant la musique :
22[1] : mélodie nouvelle
[2] : mélodie reprise
[3] : mélodie au choix de l’auteur
Tableau 4 : Comparaison de la Doctrina de compondre dictats et des Leys d’amors
23Entre la Doctrina et les Leys d’amors, deux évolutions majeures apparaissent immédiatement : la réduction du nombre de genres et la part nettement plus importante accordée au réemploi dans la seconde.
24Concernant le premier point, nous passons en effet de dix-sept genres poético-mélodiques à onze. Une diminution significative qui correspond à une appréhension générique adaptée à un espace culturel donné – on ne connaît, ou on n’apprécie pas forcément tous les genres lyriques. William Paden, dans son étude sur le « système des genres » dans la lyrique des troubadours, a bien montré l’intense évolution des genres, interne comme externe, mais aussi Paul Zumthor, Gérard Gonfroy ou Christophe Chaguinian, ce qui remet en perspective notre vision parfois déformée de la réalité générique :
À ces limitations, il convient d’ajouter que la présentation des genres y est toujours parcellaire. La raison en est simple. L’idée reçue selon laquelle le système générique troubadouresque aurait, tout au long de son histoire, reposé sur les mêmes genres-phares est fausse. En réalité, ce système a évolué car, au cours du temps, certains genres ont gagné en importance tandis que d’autres ont dépéri. Écrits par des théoriciens qui participaient à cette histoire, les traités médiévaux portent donc le sceau de l’époque et de la région où ils ont été composés et ne sauraient offrir ni la présentation globale du système souhaité par le critique, ni une vision diachronique des différents genres20.
25Quant au second point, il témoigne d’un rapport quasiment inversé entre création musicale et réemploi. Dans la Doctrina, une dizaine de mentions portent sur un « son nouveau », pour deux à cinq reprises mélodiques ; dans les Leys d’amors, ce rapport est de cinq mentions d’une nouvelle mélodie pour six reprises. Quelles conclusions tirer de cette nette évolution ? Faut-il en déduire qu’écrire en contrafactum était une pratique davantage représentée au xive siècle qu’au xiiie siècle ? C’est là une hypothèse à avancer avec prudence, en raison du décalage temporel entre le corpus des troubadours et des traités souvent largement postérieurs à la période d’élaboration des pièces, et qui ne rendent vraisemblablement pas compte de la réalité des pratiques poético-musicales.
26Dans les Leys d’amors, le ton a également changé : Guilhem Molinier semble avoir une approche plus sensible du corpus et insiste davantage sur le style mélodique des pièces. Les adjectifs les qualifiant sont nombreux et variés : il faut un chant « agréable », « gai », « plaintif », « sautillant », « vif », « lent », etc. Pour le vers, premier genre abordé dans le traité, Guilhem Molinier concentre même l’ensemble de son propos sur la musique, soulignant qu’elle doit avoir « de belles montées et descentes, de beaux passages et des repos bien ménagés » (« Vers deu haver lonc so. e pauzat. e noel. amb belas e melodiozas montadas. e deshendudas. et amb belas plassadas. e plazens pauzas »).
27Autre constatation : ce sont bien les mêmes genres, d’un traité à l’autre, qui doivent proposer une nouvelle mélodie, à savoir la canso et le vers, genres majeurs de cette lyrique, mais aussi la pastourelle (pour laquelle l’option d’une reprise mélodique reste cependant envisageable, selon la Doctrina). Quant au sirventes et à la tenso, ils peuvent s’appuyer sur une mélodie préexistante, comme précédemment21.
28En un siècle environ, la diversité générique semble donc s’être amoindrie, et la nécessité de composer spécifiquement une partie mélodique accordée au texte poétique tout autant. Quelles sont les raisons qui pourraient expliquer une telle place donnée au réemploi ? Des indices nous sont fournis par le texte de Guilhem Molinier. Nous pouvons lire en effet, pour le planh, que la reprise d’une mélodie antérieure est autorisée, dans la mesure où les chanteurs ne semblent plus être capables de composer une mélodie adaptée à ce genre :
E deu haver noel so. plazen. e quays planhen. e pauzat. pero per abuzio. vezem tot jorn quom se servish en aquest dictat. de vers. o de chanso. et adonx quar es acostumat. se pot cantar quis vol. en lo so del vers. o de la chanso. don se servish. laqual cauza permetem. majormen. per la greueza del so. quar apenas pot hom trobar huey cantre ni autre home que sapia be endevenir et far propriamen un so. segon que requier aquest dictatz22.
29Nous retrouvons une mention assez proche pour la dansa. L’auteur nous indique que « les chanteurs d’aujourd’hui ne peuvent pas parvenir à donner à la danse le chant qui lui est propre ; et ne pouvant y arriver, ils ont changé ce chant en celui du rondeau, avec les minimes et les semi-brèves de leurs motets »23. Mention particulièrement intéressante, qui pourrait indiquer une possibilité de réemploi non plus liée uniquement à la monodie profane, mais à des genres polyphoniques comme le motet.
30Les points de divergence entre les deux traités sont donc aussi nombreux que les points de convergence. Se pose alors la question de la connaissance qu’avait Guilhem Molinier de la Doctrina de compondre dictats et de la continuité d’une réelle tradition rhétorique entre la Catalogne et la région toulousaine. La forme est cependant bien la même, ainsi que les mentions de la contrafacture, aboutissant dans tous les cas à une conclusion similaire : l’usage constant et la rémanence d’une pratique particulièrement appréciée. Aucun de ces deux textes, par ailleurs, ne va aussi loin que le traité De arte de trobar dans la description technique de cette pratique. Comment comprendre alors cet évitement, particulièrement dans les Leys d’amors, qui multiplient pourtant les mentions à une mélodie d’emprunt ? Guilhem Molinier considérait-il la contrefaçon comme un simple outil, une commodité offerte à un poète-musicien moins familier des sons qu’il ne l’était des mots ? Vraisemblablement, et en ce sens, le contrafactum n’avait pas besoin d’être davantage explicité, puisque connu de tous.
III. Un traité tardif : le Torcimany de Luis de Averço
31Enfin, un traité plus récent, daté de la fin du xive siècle (vers 1393) et rédigé en prose catalane, donne également sa propre lecture de la contrefaçon musicale. Il s’agit du Torcimany de Luis de Averço, rattaché aux Leys d’amors – référence constante pour les poètes catalans depuis leur rédaction –, puisque son commanditaire, le roi Jean 1er d’Aragon, avait souhaité recréer à Barcelone un « Consistoire de la gaie science » inspiré de celui de Toulouse24. Luis de Averço sera donc chargé, comme son prédécesseur Guilhem Molinier une cinquantaine d’années auparavant, de compiler les règles du trobar. Pour mener à bien sa tâche, il prend appui sur les Leys d’amors, mais peut-être aussi sur d’autres textes, comme le Compendi de Juan de Castellnou.
32Le Torcimany se présente en trois grandes sections, la première consacrée à la grammaire, la seconde aux genres poétiques (les dictats), la dernière sur des aspects plus techniques de la rhétorique, comme le compàs des textes. Logiquement, dans la mesure où l’auteur prend les Leys d’amors comme modèle, les indications concernant une éventuelle reprise mélodique sont également mentionnées :
33[1] : mélodie nouvelle
[2] : mélodie reprise
[3] : mélodie au choix de l’auteur
Tableau 5 : Comparaison du Torcimany (Luis de Averço) et des Leys d’amors
34Effectivement, la comparaison des deux textes fait émerger une correspondance totale en la matière, Luis de Averço reprenant même parfois mot pour mot le texte des Leys d’amors. Lui aussi porte une attention particulière au style mélodique, usant d’adjectifs qualificatifs proches de ceux utilisés par Guilhem Molinier pour décrire notamment le vers et la canso, dont la mélodie devra être « longue, belle, plaisante, gracieuse, douce, mélodieuse ». Une double stabilisation est donc évidente ici, générique et compositionnelle, avec une majorité de pièces pouvant supporter un réemploi musical. Ce traité témoigne aussi du maintien actif de la tradition du trobar, sous la forme qui était la sienne aux xiie et xiiie siècles, alors même que musicalement, la monodie profane n’était plus majoritaire à la fin du xive siècle.
Conclusion
35Les textes que nous venons de passer en revue donnent à voir la place accordée à la musique dans une tradition de la lyrique courtoise qui a maintenu conjointement les mots et les sons depuis la fin du xie siècle. Seuls les traités les plus connus ont été abordés précédemment, et il conviendra de les confronter à d’autres textes (comme le Mirall de trobar de Berenguer de Noia) pour corroborer l’analyse qui en a été faite, sous l’angle de la contrafacture25.
36Certes, ces traités ont parfois été considérés comme peu fiables, notamment par Paul Zumthor, qui leur reproche un discours généraliste et un lexique souvent trop peu précis pour nous permettre d’appréhender correctement l’objet poétique26. Pour la musique, cependant, les indications fournies sont moins équivoques. Et l’approche méthodique de chaque genre lyrique témoigne d’une nette évolution, entre les premiers et les derniers traités : la part accordée au « son nouveau » diminue au profit d’un « son ancien », repris.
37Comment comprendre ce changement ? La plus grande fréquence de la mention d’un « son ancien » ne peut être liée à la contestation poétique, élément déterminant de la contrafacture selon Paul Zumthor, car elle est déjà très présente chez les premières générations de troubadours (avec Bertran de Born) et ce jusqu’aux dernières (avec notamment Peire Cardenal)27. S’agirait-il sinon d’une difficulté croissante, pour les trouveurs, à composer la partie musicale de leurs chansons, difficulté liée à une éventuelle forme de spécialisation des savoirs et des compétences, l’auteur du texte n’ayant pas forcément reçu la formation nécessaire pour composer la musique28 ? Ou bien d’un intérêt recentré sur le texte, au détriment de la musique – même si texte et musique sont toujours présentés conjointement dans l’ensemble des traités étudiés, en dépit de l’importance croissante accordée à la contrafacture ?
38Certes, ces hypothèses renvoient au corpus musical lui-même, et donc à la question des modalités d’interaction entre musique et théorie. Autrement dit, dans quelle mesure l’évolution du discours théorique (postérieur au corpus) peut-elle refléter l’évolution du langage musical et l’approche compositionnelle ? Faut-il considérer que traités et chansons aient constitué deux espaces totalement distincts ? Qu’aucune porosité n’ait pu exister entre eux ?
39Cette question renvoie également au statut du texte théorique. Le projet des Leys d’Amors, par exemple, est pleinement pédagogique : il s’agit d’expliciter les règles et genres poétiques en usage, afin de guider au mieux les « troubadours » du xive siècle souhaitant candidater au concours organisé par le Consistoire de la Gaie Science. De ce point de vue, ces règles devaient s’appliquer d’une manière égale aux créations poétiques comme aux éventuelles mélodies associées.
40En définitive, la littérature théorique méridionale témoigne d’une préservation dans la durée de la tradition lyrique du trobar, fondée sur sa double dimension musicale et poétique. Que ce soit de façon contemporaine ou non, les textes théoriques s’inscrivent en contrepoint du texte musical et témoignent, à leur manière, de son propre mouvement.
Annexes
411. Tableau 3 : Mentions d’un éventuel réemploi mélodique dans Las leys d’amors (Adolphe-Félix Gatien-Arnoult, éd., Las flors del gay saber, estier dichas las leys d’amors, Toulouse, Paya éditeur, 1841)
42[1] : mélodie nouvelle
[2] : mélodie reprise
[3] : mélodie au choix de l’auteur
432. Proposition de chronologie des traités de grammaire et de poétique des xiiie et xive siècles
Notes
1 Friedrich Gennrich, Die Kontrafaktur im Liedschaffen des Mittelalters, Langen bei Frankfurt, Friedrich Gennrich, 1965.
2 Par exemple : John H. Marshall, « Pour l’étude des contrafacta dans la poésie des troubadours », Romania, 101, 1980, p. 289-335 ; Robert Falck, « Parodie and Contrafactum: a Terminological Clarification », The Musical Quarterly, 65, 1979, p. 1-21 ; Antoni Rossell, « L’intermélodicité comme mémoire dans le répertoire de la lyrique médiévale », Mémoire et culture, éd. Claude Filteau et Michel Beniamino, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2006, p. 348-359 ; Pilar Lorenzo Gradín, « Accessus ad tropatores. Contribucion al estudio de los ‘contrafacta’ en la lirica gallego-portuguesa », XXe Congrès international de Linguistique et Philologie Romanes, t. 5, éd. Gérold Hilty, Zurich, Verlager, 1993, p. 99-112. L’une des études les plus récentes en la matière est celle de Francesco Carapezza, « La dimensione musicale dei trovatori », Lecturae tropatorum, 13, 2020, p. 127-163.
3 Notamment avec les bases de données Connecting medieval music [URL : https://medmus.warwick.ac.uk/node?view=map, consulté le 7 mars 2023] et Galician-Portuguese contrafacta: French and Occitan models [URL: https://cantigas.fcsh.unl.pt/contrafacta.asp?ling=eng, consulté le 7 mars 2023].
4 John H. Marshall, The Razos de trobar and associated texts, London, Oxford University Press, 1972, p. 1 : « Tous, chrétiens, juifs et Sarrasins, empereurs, princes, rois, ducs, comtes, vicomtes, contors, vavasseurs, clercs, bourgeois et paysans, petites gens et puissants, appliquent tous les jours leur esprit à trouver et à chanter, qu’ils veuillent en trouver ou qu’ils veuillent en entendre, qu’ils veuillent en dire ou qu’ils veuillent en écouter, car il serait regrettable qu’en quelque endroit, si reculé ou si isolé soit-il, très ou peu peuplé, vous n’y entendiez chanter une personne ou une autre, ou toutes ensemble ; car même les pâtres de la montagne, le plus grand plaisir qu’ils aient est de chanter. Et tous les maux et les biens du monde c’est par les troubadours qu’ils sont inscrits dans la mémoire. Et vous ne trouverez pas un mot, bien ou mal dit, qui, dès lors qu’il a été mis en rimes par des troubadours, ne soit toujours dans les mémoires, car trouver et chanter sont au principe de tous les plaisirs ».
5 Ibid., p. 95-98. Texte source : Barcelona, Biblioteca de Catalunya, cod. 239, fol. 29r-31r.
6 Les avis divergent sur l’attribution de ce traité. Pierre Bec le rattachait à Raimon Vidal de Besalú et John Marshall pensait qu’il s’agissait d’un supplément aux Razos de trobar de Jofre de Foixa. Cf. Michèle Gally, Oc, oïl, si. Les langues de la poésie entre grammaire et musique, Paris, Fayard, 2010, p. 320, note 1. Voir également Sarah Kay, « Occitan grammar as a science of endings », New medieval literature, 11, 2009, p. 39-61.
7 Cf. Gally, Oc, oïl, si, p. 20 : « Il semble devoir certains de ses développements sur la forme métrique et musicale des genres à des traités latins comme la Poetria de Jean de Garlande (xiie siècle). Rien n’est clairement prouvé ».
8 Cette mention semble cependant sous-entendre parfois une reprise mélodique, comme nous le constatons pour les coblas esparsas.
9 Antoni Rossell, « So d’alba », Studia in Honorem prof. Martín de Riquer, éd. Antoni Rossell, Barcelona, Institute for Medieval Studies, 1991, vol. 4, p. 705-721 ; Christophe Chaguinian et John Haines, éd., Les albas occitanes, Paris, Honoré Champion, 2008 ; Florence Mouchet, « Dépasser les frontières : l’intermélodicité dans la lyrique profane du Moyen Âge », Musicologies nouvelles, 9, 2019, p. 12-24.
10 On trouve également mention de la pratique du « seguir » dans les rubriques suivantes : João de Gaia : « Eu convidei um prelado a jantar, se bem me venha », cantiga de escárnio e maldizer. Rubrique : Esta cantiga foi seguida per ũa bailada que diz : ‘Vós havede-los olhos verdes e matar-m’-edes com eles’. E foi feita a um bispo de Viseu (cf. Graça Videira Lopes, Manuel Pedro Ferreira et al., Cantigas Medievais Galego Portuguesas [base de dados online], Lisboa, Instituto de Estudos Medievais, FCSH/NOVA, 2011- [URL : https://cantigas.fcsh.unl.pt/cantiga.asp?cdcant=1485&pv=sim, consulté le 16 mars 2023]). João de Gaia : « Vosso pai na rua », cantiga de escárnio e maldizer. Rubrique : Esta cantiga seguiu Joham de Gaya pera quella / De cima de vilaanos que diza / Refrom uedes lo cos ay caualeiro (cf. Videira Lopes et Ferreira, Cantigas Medievais Galego Portuguesas [URL : https://cantigas.fcsh.unl.pt/cantiga.asp?cdcant=1466&pv=sim, consulté le 16 mars 2023]). Lopo Lias : « Qem hoj’houvesse », cantiga de escárnio e maldizer. Rubrique : Este cantar fez em som d'um descor, e feze-o a um infançom de Castela que tragia leito dourado, e era mui rico e guisava-se mal e era muit’escasso (cf. Videira Lopes et Ferreira, Cantigas Medievais Galego Portuguesas [URL : https://cantigas.fcsh.unl.pt/cantiga.asp?cdcant=1386&pv=sim, consulté le 16 mars 2023])
11 Source : Lisboa, Biblioteca Nacional de Portugal, Cancioneiro Colocci-Brancuti (Arte de trovar), 10991 (B). Mes remerciements à Marie-Virginie Cambriels pour son aide dans la traduction. Éditions : Jean-Marie d’Heur, « L’art de trouver du Chansonnier Colocci-Brancuti : édition et analyse », Arquivos do Centro Cultural Português, 9, 1975, p. 321-398 ; Anna Ferrari, « Formazione e struttura del canzoniere portoghese della Biblioteca Nazionale di Lisboa (cod. 10991: Colocci-Brancuti). Premesse codicologiche alla critica del testo (Materiali e note problematiche) », Arquivos do Centro Cultural Português, 14, 1979, p. 27-142 ; Arte de Trobar del Cancioneiro Colocci Brancutti, éd. Giuseppe Tavani, Lisboa, Colibri, 1999. Facsimile et édition en ligne [2011] : [Graça Videira Lopes, coordinateur] https://cantigas.fcsh.unl.pt/artedetrovar.asp, consulté le 7 mars 2023. Études : Jean-Marie d’Heur, Recherches internes sur la lyrique amoureuse des troubadours galiciens-portugais (xiie-xive siècles), Liège, Faculté de philosophie et lettres, 1975 ; Wilton Cardoso, Da Cantiga de seguir no cancioneiro peninsular da Idade Média, Belo Horizonte, Universidade Federal de Minas Gerais, 1977 ; Rip Cohen, « Cantar Igual: External Responsion and Textual Criticism in the Galician-Portuguese Lyric », La corónica: A Journal of Medieval Hispanic Languages, Literatures, and Cultures, 38/2, 2010, p. 5-25 ; Manuel Pedro Ferreira, « Da cantiga de seguir », O Som de Martin Codax: sobre a dimensão musical da lírica galego-portuguesa, séculos xii-xiv, Lisboa, Imprensa Nacional, 1986, p. 17-29 ; Dicionário da Literatura Medieval Galega e Portuguesa, éd. Giulia Lanciani et Giuseppe Tavani, Lisboa, Caminho, 1993 ; Giuseppe Tavani, Trovadores e Jograis, Introdução à poesia medieval galego-portuguesa, Lisboa, Caminho, 2002 ; Manuel Pedro Ferreira, « Indícios de contactos poético-musicais entre a cultura trovadoresca e a cultura árabo-andaluza », Xarajîb: Revista do Centro de Estudos Luso-árabes de Silves, 2, 2002, p.107-113 ; Dominique Billy, Paolo Canettieri et Carlo Pulsoni, « Per uno studio storico-geografico e tipologico dell’imitazione metrica nella lirica galego-portoghese », La lirica galego‑portoghese. Saggi di metrica e musica comparata, Roma, Carocci, 2003, p. 113-121 ; Carlos Alvár, De poesía medieval con sus glosas nuevamente añadidas, Alicante, Universidad de Alicante, 2014 ; Manuel Pedro Ferreira, « Parody and Music. Iberian Examples », Parodies courtoises, parodies de la courtoisie, éd. Margarida Madureira, Carlos Clamote Carreto et Ana Paiva Morais, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 197-220 ; Stephen Parkinson, « Géneros imaginados na lírica galego-portuguesa: a “cantiga de seguir” e a “cantiga de vilãos” », Poesía, poéticas y cultura literaria, éd. Andrea Zinato et Paula Bellomi, Pavia, Ibis, 2018, p. 375-390.
12 Parkinson souligne ici la difficulté à comprendre précisément ce passage (ibid., p. 388).
13 Ferreira, « Indícios de contactos poético-musicais » et Ferreira, « Parody and Music ».
14 Cf. Ferreira, « Indícios de contactos poético-musicais », p. 109 : « […] o muwaxxah baseava-se na apropriação parcial da música e de versos de uma composição previamente existente; para além disso, a imitação (mu’arada) de uma muwaxxaha alheia era uma práctica corrente, que conhecia duas modalidades – apropriação da música, com imitação do metro poético e das rimas invariáveis, ou apropriação da música, com imitação literária parcial ».
15 Parkinson, « Géneros imaginados na lírica galego-portuguesa », p. 389 : « […] cantiga de seguir é um termo imaginado pela crítica a partir do texto da Arte sobre ‘seguir’ ».
16 Las flors del gay saber, estier dichas las leys d’amors. Ce texte a été précédé d’un premier traité de poétique, le Doctrinal de trobar de Raimon de Cornet, en 1324, mais considéré comme inabouti par les membres du Consistoire de la Gaie Science, d’où une seconde commande passée à Guilhem Molinier pour corriger le texte de son prédécesseur. On trouve donc dans ce Doctrinal les mêmes mentions faites à une mélodie nouvelle ou empruntée que celles présentes dans les Leys d’amors. Cf. Deux manuscrits provençaux du xive siècle, éd. Jean-Baptiste Noulet et Camille Chabaneau, Genève, Slatkine, 1973.
17 Les deux principales sont celles de Toulouse (Académie des jeux floraux). Une première rédaction en cinq livres en prose, achevée entre 1328 et 1337 : Las flors del gay saber, estier dichas las leys d’amors, éd. Adolphe-Félix Gatien-Arnoult, Toulouse, Paya éditeur, 1843. Nouvelle édition en 2019 : Las leys d’amors: redazione lunga in prosa, éd. Beatrice Fedi, Firenze, Edizioni del Galluzzo per la Fondazione Ezio Franceschini, 2019. Une seconde en 1356, comportant trois livres en prose : Las leys d’amors, éd. Jean Anglade, Toulouse, Privat, 1919/1920. La seconde partie de cette seconde rédaction porte sur les différents genres poétiques.
18 Éd. Gatien-Arnoult, Las flors del gay saber, p. 2-3 : « Aussi l’on pourra voir bien des règles et bien des doctrines qui n’ont été posées par aucun des anciens troubadours, quoiqu’elles soient nécessaires pour trouver ».
19 Ibid., p. 8-9 : « Trouver, c’est faire une composition nouvelle, / En roman distingué, bien mesuré ».
20 Christophe Chaguinian, « Alba et Gayta. Deux définitions à problème de la Doctrina de compondre dictats et leur possible solution », Romania, 125, 2007, p. 47 ; William Paden, « The System of Genres in Troubadour Lyric », Medieval Lyric: Genres in Historical Context, éd. W. D. Paden, Chicago, University of Illinois Press, 2000, p. 21-67 ; Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris, Le Seuil, 1972, p. 159 ; Gérard Gonfroy, « Les genres lyriques occitans et les traités de poétique : de la classification médiévale à la typologie moderne », Actes du XVIIIe Congrès international de linguistique et de philologie romanes, Université de Trèves (Trier) 1986, vol. 6, éd. Dieter Kremer, Tübingen, M. Niemeyer, 1988, p. 121-135.
21 Nous pouvons souligner que Guilhem Molinier mentionne également les « ouvrages non principaux », comme la danse, le bal ou l’estampie (éd. Gatien-Arnoult, p. 348-349). Ces mentions sont particulièrement intéressantes, bien qu’elles ne fassent pas directement référence à une éventuelle reprise mélodique, dans la mesure où l’auteur nous informe sur le mode de composition. Nous apprenons ainsi que si le bal et la danse sont fondés sur une alternance de couplets et de refrains, ils diffèrent cependant l’un de l’autre dans la mesure où l’on commence par écrire les paroles pour la danse, puis la musique, et l’inverse pour le bal. Quant à l’estampie, elle peut être instrumentale ou porter un texte, de nature amoureuse ou de louange, se rapprochant en cela du vers et de la canso.
22 Éd. Gatien-Arnoult, Las flors del gay saber, p. 148 : « Cet ouvrage doit avoir un chant nouveau, agréable et pour ainsi dire plaintif et lent. Cependant, comme nous voyons tous les jours que, par abus, on chante cette sorte d’ouvrage sur les airs de vers ou de chansons, on peut, puisque c’est l’usage, le chanter si l’on veut sur l’air du vers ou de la chanson qu’on a pris pour modèle. Nous donnons cette permission, principalement à cause de la difficulté du chant ; car on a de la peine aujourd’hui à trouver un chanteur ou quelqu’autre personne que ce soit qui sache faire un chant tel qu’il convient à cet ouvrage ».
23 Ibid., p. 342 : « E quar noy podon endevenir. Han mudat los o de dansa en so de redondel am lors minimas et am lors semibreus de lors motetz ».
24 Source : Monasterio de San Lorenzo de El Escorial, Real Biblioteca, M-I-3 (Luis d’Averço, Torcimany de la sciencia gaya de trobar). Édition : ‘Torcimany’ de Luis de Averço, Tratado retorico gramatical y diccionario de rimas. Siglos xiv-xv, éd. José Maria Cazals Homs, Barcelona, Instituto Miguel de Cervantes, Sección de Literatura Catalana, 1956. Voir également : Josep Miquel Sobré, « Ausiàs March, the Myth of Language, and the Troubadour Tradition », Hispanic Review, 50/3, 1982, p. 327-336 ; Mark D. Johnston, « The Translation of the Troubadour Tradition in the Torcimany of Lluis d’Averçó », Philological Quarterly, 60/2, 1981, p. 151-167 ; José Romeu Figueras, « El cantar paralelístico en Cataluña, sus relaciones con el de Galicia y Portugal y el de Castilla », Anuario musical, 9, 1954, p. 3-55.
25 Berenguer de Noya, Mirall de trobar, éd. Pietro Palumbo, Palermo, Manfredi (Università, Istituto di Filologia Romanza), 1955 ; Berenguer d’Anoia, Mirall de trobar, éd. Jaume Vidal i Alcover, Barcelona, Abadia de Montserrat, 1984. L’édition de John Marshall (The Razos de trobar and associated texts, p. 101-105) évoque également deux courts traités présents dans le manuscrit de Ripoll, ne mentionnant cependant la musique que pour la dansa.
26 Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris, Le Seuil, 1972, p. 159 : « La terminologie de ces traités, dans son ensemble, pèche par défaut, soit de généralité, soit de particularité. L'usager de tel terme pense à tel texte réel plutôt qu'à des traits communs le liant de façon pertinente à d'autres textes. Ou bien, au contraire, il s'élève, avec une apparente indifférence, à une telle abstraction que n'importe lequel des mots employés ne signifie guère plus que “texte” ».
27 Ibid., p. 105.
28 Cette hypothèse renvoie à la question de la formation poético-musicale des troubadours, question complexe qui nécessite de tenir compte de la diversité des milieux sociaux dont ils sont issus, à l’éducation reçue durant l’enfance et tout au long de la « carrière », aux rencontres et au cadre performatif, etc. Voir notamment : Elizabeth Aubrey, The Music of the Troubadours, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 1996 (chapitre 2 notamment) ; Geneviève Brunel-Lobrichon et Claudie Duhamel-Amado, Au temps des troubadours. xiie-xiiie siècles, Paris, Hachette, 1997 ; Geneviève Brunel-Lobrichon, « La formation des troubadours, hommes de savoir », Cahiers de Fanjeaux, 35, 2000, p. 137-148 ; Linda M. Paterson, Le monde des troubadours. La société médiévale occitane, 1100-1300, trad. Gérard Gouiran, Montpellier, Presses du Languedoc, 1993/1999 ; Gérard le Vot, Les troubadours, les chansons et leurs musique (xiie-xiiie siècles), Paris, Minerve, 2019 (notamment chapitre 2).
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Florence Mouchet
Maître de conférences en musicologie
Université Toulouse – Jean Jaurès
florence.mouchet@univ-tlse2.fr
Florence Mouchet est maîtresse de conférence à l’Université Toulouse – Jean Jaurès et membre du laboratoire interdisciplinaire LLA-Créatis (Laboratoire Lettres, Langages et Arts). Elle y développe une activité de recherche centrée plus particulièrement sur les processus de réemploi et d’inter-musicalité dans les lyriques profanes médiévales. Elle étudie également les représentations musicales et le
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